2-Terminologie
Avant d’engager plus précisément
l’état de cette réflexion, il n’est pas inutile
de circonscrire le sens que j’attribue à certains concepts.
De premières lectures sur des traces de cette rédaction
ont fait apparaître que certains termes prêtaient
à de multiples interprétations parfois contraires.
Les origines de ces confusions sont diverses. Elles tiennent
parfois à une utilisation différente selon les
champs épistémologiques auxquels se réfèrent
le lecteur. A d’autres moments, ce mélange est lié
à l’usage de faux amis selon une interprétation
francophone et anglophone. Enfin certains termes sont parfois
le fruit d’une interprétation toute personnelle. Que
mon usage terminologique soit parfois hasardeux, j’en fais
volontiers concession, mais je souhaite toutefois éclaircir
le sens que je donne à certains concepts afin que le
lecteur ne se méprenne pas sur l’usage que j’en fais,
et afin que mes définitions propositionnelles lèvent
l’obstacle d’une critique procédurale.
2.1 Contenu, représentation
et discours
Ces trois termes sont utilisés pour décrire
différents niveaux de l’organisation des signes au
cours de la médiation.
Le contenu est l’ensemble brut des
énoncés potentiellement produits (ou reproduits)
dans le dispositif médiatique.
La représentation possède
plusieurs significations que je précise au paragraphe
suivant . Ici, il s’agit de la représentation comme
performance, c’est à dire la mise en scène,
l’exécution ou l’interprétation d’un contenu
(par conjonction, on dira que la représentation performance
est une mise en action).
Le discours est une organisation significative
(interprétative) de la représentation.
2.2 Représentation
Le terme de représentation revient
souvent au cours de ce texte. Il a trois significations majeures :
l’une en tant qu’objet, la seconde comme acte et la troisième
comme signification.
- La représentation comme objet
Dans une première acception du terme,
la représentation est un signifiant. C’est la matière
du signe, un " representamen ". La représentation
est un objet. Cet objet peut être analogique ou digital.
Analogique, la forme de la représentation est sensée
entretenir des rapports d’homologie ou d’isomorphie avec un
référent. Digitale, la représentation
entretient un rapport de code, une signification normée
avec un référent.
- La Représentation comme performance
Cette définition de la représentation
nous permet simultanément de faire le point sur l’emploi
du mot performance.
La performance dont nous parlons est héritée
du verbe anglais : " to perform ".
Le " Dictionnaire bilingue Harrap’s "
[1]
le traduit comme verbe d’une action d’exécution (d’un
mouvement, d’une tâche, célébration d’un
rite, accomplissement d’un devoir…) mais aussi comme une action
de représentation publique (jouer une pièce
de théâtre, de la flûte, un rôle).
La performance anglo-saxonne est donc d’abord une action en
cours ou une présentation publique, une mise en scène.
Seule une troisième définition s’approche de
la définition française de la performance comme
résultat. "Le Petit Larousse Illustré"
[2]
précise d’ailleurs qu’en français, la performance
est aussi synonyme d’exploit et de succès.
Le fait d’emprunter ici à l’anglais
n’est pas le rejet de l’emploi d’une terminologie francophone,
mais bien lié à l’usage. Le verbe anglais et
son substantif sont étymologiquement originaires d’un
verbe du vieux français : " parformer "
qui signifie accomplir. Donc en tout état de cause,
notre emploi de " performance " n’est
pas un anglicisme pur, il consacre la performance comme acte
et non comme résultat.
Dans cet esprit, nous associerons représentation
et performance.
La représentation dans ce cas, correspond
à la terminologie théâtrale. Le terme
de représentation correspondra au déroulement
de la mise en scène d’un dispositif (comprenant les
acteurs, leurs actes dans la sphère de la médiation
ainsi que leur interprétation d’un " texte ",
le contenu). Dans le texte nous identifierons cette acceptation
terminologique en marquant le mot d’une majuscule : Représentation.
La représentation est enfin un processus
de symbolisation.
Nous aurions bien parlé d’une représentation
symbole, mais le terme de symbole est marqué du coté
linguistique comme une certaine catégorie de signes
et du coté de la psychologie comme l’association émotionnelle
et affective d’un signe à une signification sans rapport
direct avec le signifiant et le référent du
signe.
En choisissant de définir la représentation
par rapport à un processus de symbolisation, nous nous
plaçons dans une perspective beaucoup plus " psychosociale ".
Serge
TISSERON précise ce qu’il faut entendre dans
ce cas par représentation, et plus exactement par représentation
mentale :
" Elle est le moyen par lequel,
chaque sujet singulier s’approprie ses expériences
subjectives du monde. […] La représentation est le
résultat d’un travail psychique qui fait également
intervenir des émotions - prises dans la " socialisation "
- et des comportements sensori-affectivo-moteurs "[3].
Cette représentation n’est pas un
objet matériel, tout au plus est-elle le signifié
singulier de ce que Dan SPERBER [4]
appelle une représentation publique, qui correspondrait
à ce que nous avons défini comme la représentation-objet.
Nous nous permettrons parfois de placer indistinctement
sous cette définition de la représentation,
la représentation mentale et la représentation
symbolique. Cet emploi sera présenté dans le
texte par l’ajout du qualificatif " mentale "
ou " symbolique " (sauf si le contexte
ne prête pas à confusion).
2.3 Acteurs
L’utilisation général du terme
d’acteur, revêt la conjonction d’un double sens du mot :
- Acteur est celui qui réalise une performance,
il est institué par un faire, un acte.
- Acteur est celui qui joue un rôle, un autre
soi.
Nous assumons au sein de notre hypothèse
et par choix épistémologique, que les intervenants
dans une situation de médiation sont des acteurs institués
par leurs actes, et simultanément que ces actes sont
l’interprétation d’un rôle, d’une certaine théâtralité.
Je reviendrais en détail sur ce concept
d’acteur qui regroupe dans une approche médiologique
de la communication les concepts d’émetteur et destinataire,
énonciateur et énonciataire, usagers, utilisateurs…(Voir
partie 1 : Dimensions des médiations interactives)
L’acteur de notre problématique est
d’une part l’élément dynamique instituant le
processus de médiation, mais en même temps, au
travers de son rôle, il est lui-même contenu dans
la mise en scène de lui-même et de ses actes.
Nous parlerons donc de l'acteur à
trois niveaux en utilisant trois termes:
Nous réserverons l'emploi du terme
d'acteur, en référant au champ de l'expérience,
un individu ou système interprétant ou produisant
un contenu symbolique. L'acteur est une réalité
de premier ordre selon la terminologie de Paul WATZLAWICK
[5].
L'acteur peut-être une personne prenant part au déroulement
de la médiation par sa présence directe (utilisateur)
ou transmise (dans l'espace ou le temps) par le dispositif
(programmeur). Nous verrons aussi que dans certains cas, le
dispositif peut-être associé à un acteur
dans la mesure où il interprète et produit du
contenu symbolique.
L’acteur représenté sera assimilé
à un personnage ou plusieurs personnages (selon
la forme médiatée).
L’action médiatée de l’acteur
au travers de son personnage sera le rôle. Le
rôle est ainsi le lien existant entre l'acteur et le
personnage.
Si dans une représentation théâtrale
ou une situation de communication telle que les décrit
Erwing GOFFMAN [6],
l'acteur et le personnage font corps, dans l'essentiel des
autres médiations, il y a des décalages propres
au dispositif de leur réalisation. Par exemple, le
cinéma permet de faire jouer dans une même scène
deux personnages par un seul et même acteur (qui n'est
d'ailleurs pas présent lors de la représentation).
2.4 Dispositif et système
Nous tenons aussi à préciser
deux termes qui pourraient apparaître assez proches
au cours de cette étude : dispositif et système.
Le dispositif est pris dans une acceptation
médiologique. Il désigne l’ensemble actif des
constituants de la médiation. C’est à dire qu’il
est la conjonction des dimensions des acteurs, du système
médiateur (le support et son fonctionnement), ainsi
que du contenu organisé au cours de la médiation.
Le dispositif est la sphère globale de construction
du discours.
L’emploi de système est orienté
en règle générale vers le système
technique qui constitue le support du contenu médiaté.
Néanmoins, dans le cadre de notre introduction épistémologique,
nous élargissons l’usage de ce terme lorsque nous abordons
les questions relatives au courant cybernétique et
au courant systémique.
2.5 Champs et sphères
de l’expérience ou du symbolique
Tout d'abord les termes de champs et sphères
sont les éléments d'une modélisation,
d'une représentation théorique des processus
de médiation au travers d'une métaphore spatiale.
Nous constituerons ainsi un territoire de la médiation
sur lequel nous situerons plusieurs espaces théoriques.
Ces espaces seront caractérisés par leurs éléments
constitutifs. A partir de ces éléments, nous
étudierons leurs réseaux de relations, leurs
frontières, leurs superpositions.
Ainsi, nous avons déjà fréquemment
fait référence à un champ de l’expérience
et un champ symbolique.
Le champ de l’expérience pourrait
correspondre à ce que Paul WATZLAWICK [5]
nommerait une réalité première ou une
réalité objective. Cette réalité
n’est pas celle que nous percevons et à partir de laquelle
nous nous représentons le monde, mais c’est celle dans
laquelle se déroulent les actions. L’importance de
la qualification de ce champ comme étant celui des
actions et le risque d’une confusion avec d’autres définitions
de l’expérience nous amène à préciser
les limites de son emploi à une sphère opératoire.
La sphère opératoire sera l’espace temps
des actions des acteurs sur les objets du contenu au travers
du média.
Le champ symbolique s’oppose au champ
de l’expérience en tant que lieu de représentation,
d’organisation de symboles. Mais nous avons signalé
que les termes de représentation et de symbole pouvaient
être sujet à diverses interprétations
qui sortent du cadre médiologique dans lequel nous
inscrivons notre démarche.
Nous limitons notre approche aux traces produites
par la médiation au travers d’un énoncé.
Au travers de nos hypothèses, nous
postulerons que dans les médiations interactives, le
champ de l’expérience et le champ symbolique sont liés
par des processus circulaires et des reflets de l’un dans
l’autre. L’efficacité de ces dispositifs est liée
à l’indétermination auto-référentielle
de ces deux sphères. L'interactivité produit
des analogies entre les actions des deux sphères (action
effective et action représentée) qui rompent
l’indétermination auto-référentielle
de chacune des sphères. L'efficacité de l'interactivité
de ces dispositifs médiatiques fonctionnerait par un
transfert symbolique de la sphère opératoire
vers la sphère symbolique ou un transfert indiciel
de la sphère symbolique vers la sphère opératoire.
Ces types de transfert rompent la frontière entre la
sphère opératoire et la sphère symbolique.
Dans le cadre de notre métaphore territoriale, nous
rencontrerons un espace frontière, de transition, de
superposition, regroupant par leurs analogies les deux sphères.
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