Accueil
Mozéclic
Inter-Activités
Sites en stock
Funstuff
Aperoller
Blablas
What's up Doc
Zone de téléchargement
Sur tes pas

Spécial Thèse


-Introduction-

1-De la difficulté d'écrire linéairement sur le multimédia et l'interactivité
2-Terminologie
3-Entre le signal et sa signification : vers les retrouvailles médiologiques des contenus et de la technique
4-La problématique
5-Les hypothèses
6-La méthodologie :Modélisation

 

Recherche dans la these
Contact
Site Info
     

<<précédent

Introduction 3/6

suivant>>

3-Entre le signal et sa signification : vers les retrouvailles médiologiques des contenus et de la technique

La médiation est un terme ayant plusieurs significations au sein du vaste champ de la communication. L’un de ces sens s’inscrit dans le cadre de relations intersubjectives, tandis qu’un autre, celui sur lequel porte notre intérêt, s’inscrit plus dans le cadre de communication en lien avec la technique. Cette partie a pour projet de situer le concept de médiation dans le cadre de la communication et de notre problématique. Le but est à la fois de définir l’utilisation que nous ferons des termes découlant de celui de médiation, et de voir en quoi une approche par la médiation engage la réflexion au-delà d’elle même, dans le champ de la communication.

Le champ des sciences de l’information et de la communication est toujours parcouru par les questions épistémologiques de son fondement. Ce questionnement sur la légitimité d’une autonomie au sein d’un système des sciences est la marque d’une approche critique de la validité de la recherche. En même temps, c’est la marque d’une incertitude sur la nature de son objet et des problématiques qui s’y rapportent.

En retrouvant l’historicité de ce champ, nous constatons que ces deux voies se côtoient et s’enchevêtrent pour définir un espace dont les frontières restent floues.

Information et communication n’ont pas attendu la reconnaissance d’un champ scientifique pour être à l’œuvre. Elles sont dans la nature échangiste des systèmes de la matière et du vivant.Ce n’est pas de cette communication d’échange de matérialité dont nous parlerons généralement sous cette terminologie, mais d’un phénomène encore plus surprenant, celui de l’échange de symboles, c’est à dire de l’attribution d’une valeur de signification à l’échange matériel. Et c’est bien là que se produit la brisure épistémologique du champ des sciences de l’information et de la communication. Rupture entre les tenants de la matérialité de l’information et ceux de la signification.

Les faits de communication exercent leur fascination sur tous ceux qui interrogent leur fonctionnement et leur efficacité. Du pouvoir magique des mots à l’émotion d’une projection d’un train entrant en gare, en passant par la peur des livres subversifs, l’histoire scientifique des médias s’est généralement articulée autour d’une science des techniques contre une science des contenus, histoire des supports contre les idées.L’introduction de la réactivité, de l’interactivité dans les communications " médiatées " va pousser à un rapprochement entre les deux, et fonder un nouveau paradigme de la communication : celui de l’intermédiaire, l’interface, de la médiation.

La disjonction entre l’idée et son expression matérielle et la prévalence de l’une sur l’autre fonde une grande partie de l’histoire des rapports entre science, société et techniques autour des phénomènes de communication.

Nous résumerons l’enjeu de cette histoire relatée par Philippe BRETON et Serge PROULX [8] à partir de la séparation prônée dès Socrate entre logos et " pragma ". Débat qui anime les sciences du message entre les tenants de l’idée accusant le matériel de trahison de l’essence et les porteurs de la technique désignant l’inexistence et l’inefficacité d’une pensée sans technique d’expression. En fait les courants de la communication s’accordaient sur un paradigme de la persuasion, modèle d’une communication projectile en quête de sa cible.

        Naturellement, il existe des éducateurs héritiers des lumières qui font preuve d’un optimisme plus simple : ils ont une confiance inébranlable dans le contenu des messages. Ils pensent pouvoir modifier les consciences en transformant les émissions de télévision, le quota de vérité dans le message publicitaire, l’exactitude de l’information dans les pages des journaux "(Umberto ECO) [9].

Toutes les idéologies (les totalitaires comme les démocratiques) vont considérer les technologies de communication comme l’outil de leur diffusion. L’enjeu du contrôle des médias et la censure est celui de l’arrosage de l’opinion publique, des masses d’un contenu idéologique et stratégique. C’est ce que nous nommerons la communication projectile, d’une médiation destinée.

Modèle linéaire de la transmission que consacrera la théorie de la Communication de Claude SHANNON en même temps qu’elle sera un des points de départ d’un nouveau paradigme communicationnel. De ce paradigme naît un nouvel esprit scientifique dont la médiation est certainement l’un des représentants les plus novateurs dans le champ de la communication.

3.1 Cybernétique, systémique, le (la) tribut de l’éco-logique

Avec la théorie mathématique de la communication de Claude SHANNON [10] et le courant cybernétique fondé par Norbert WIENER [11], la logique de la communication se transforme. La séparation entre l’idée et sa matérialité est remise en question. La communication n’est plus un transfert d’idée, mais une relation véhiculant des informations.

Englobant ce courant, la systémique à partir des années soixante dix, va élargir l’importance de la communication à son fonctionnement dans un contexte global et complexe.

3.1.1 L’utopie cybernétique

La cybernétique naît d’un renouvellement de la pensée scientifique, héritage des années de guerre: Période d’une effervescence pluridisciplinaire en même temps qu’un choc intellectuel sans précédent .

Nous ne reviendrons pas en détail sur l’émergence de la cybernétique. De nombreux ouvrages s’y sont consacrés. On retiendra celui de Philippe BRETON, " L’utopie de la Communication " [12], où il reprend la naissance d’une nouvelle idéologie issue de la cybernétique de Norbert WIENER [11]. On trouvera aussi chez Joel De ROSNAY [13], Jean-Louis Le MOIGNE [14] quelques rappels des apports conceptuels de ce courant.

Rappelons toutefois que la cybernétique naît d’une conjonction de découvertes et de courants de pensée : La Théorie Mathématique de la Communication de Claude SHANNON, la mise au point de système rétroactif par Norbert WIENER et le développement des premiers ordinateurs par John VON NEUMANN ou Alan TURING, des physiciens (H.VON FOERSTER). Il faut dès le départ ajouter des psychiatres, des neurologues et psychologues tels Warren WEAVER , W.MAC CULLOCH, Paul WATZLAWICK, Gregory BATESON, des anthropologues (Margaret MEAD). Conjonction qui n’est pas fortuite, elle hérite d’un contexte particulier, le bouillonnement et les croisements de perspectives et de champs au service d’un même but, mettre un terme à la barbarie nazi.

L’effort de guerre considérable amplifie le rôle de la technique et la complexité des stratégies. Les stratégies technologiques visant à créer des armes de plus en plus performantes nécessitant des volumes de calcul de plus en plus considérables. La globalisation des zones de conflits (dans les airs, sur terre et dans les mers) fait de la circulation des messages un enjeu crucial. Ce qui a deux conséquences : une complexification des systèmes et réseaux de prises de décision, et une guerre de l’intelligence pour intercepter les communications ennemies et protéger les siennes. L’extension du conflit porte potentiellement la situation de guerre dans toutes les zones de vie, et en particulier fait disparaître le concept stratégique de ce qu’on appelait l’arrière. A la violence guerrière s’ajoute une violence psychologique qui transforme l’ensemble des populations en cible. Cette extension de la territorialisation de la guerre est nouvelle pour les Américains et en partie pour les Anglais (qui avaient subi des blocus).

La guerre est massivement technologique et humaine. Aux Etats Unis et en Grande Bretagne, les scientifiques dans toutes les disciplines sont réunis. L’antisémitisme et le totalitarisme allemand contribuent un peu plus à la cristallisation scientifique américaine en regroupant un grand nombre d’intellectuels de tous horizons fuyants l'Europe pour des raisons raciales et idéologiques. La coopération scientifico-militaire et internationale produit dans le camp des futurs vainqueurs une structure organisationnelle nouvelle (décentralisation des lieux de décision entre l’Angleterre et les Etats Unis, entre la côte est et la côte ouest). La constitution d’équipes pluridisciplinaires, visant à regrouper les problèmes par objectif et non par discipline (comme le projet " Manhattan "…) et des investissements en moyens considérables (loin des traditionnels subsides), développent une émulation scientifique tous azimuts.

Au sortir du conflit, le monde scientifique est profondément transformé. Les moyens lui ont permis de mettre en application des recherches fondamentales (maîtrise de l’atome, utilisation de l’arithmétique de BOOLE et de l’électronique dans les supercalculateurs...). En même temps, les scientifiques sont sortis du domaine pur des idées, ils ont participé directement au conflit, à la responsabilité de son déroulement. Ce qui fait naître une interrogation éthique sur leur rôle dans la société.

Norbert WIENER va être le premier à faire une analyse globale de ces questionnements et va réunir autour de lui ses compagnons de larmes (venant des différents champs scientifiques) pour rebondir et formuler un nouveau rôle de la science devant promouvoir un " homme nouveau ".

Le paradigme prend appui sur le constat des limites de l’humanité et plusieurs concepts nouveaux qui doivent assurer la rupture avec un ancien cadre de pensée. Le collège réunit au tour de Norbert Wiener aboutit au constat que l’homme n’est plus en mesure de contrôler la totalité de ses actions et ses décisions. Il est devenu l’objet de ses propres constructions. Parallèlement, un second constat considère sous une autre perspective les avancées de la technologie. Elle n’est plus seulement une mécanisation, une prolongation de la force physique de l’homme, elle est désormais capable d’accéder à des sphères de la pensée, de l’intelligence, de la décision plus efficacement que l’homme.

Il y a dans l’homme de la machine et dans la machine de l’humain. De là le groupe proposera de fécondes analogies pour de nouvelles conceptions.

3.1.2 Les concepts nouveaux de la cybernétique

Le courant cybernétique aura eu le mérite à partir des années 50 de proposer des concepts clés ouvrant vers de nouvelles approches des problématiques.

    3.1.2.1 La communication

    La cybernétique met la communication au centre de toute approche. Tout d’abord parce qu’elle établit qu’on perçoit les systèmes par les relations qu’ils établissent avec leur environnement.

    Ensuite, Norbert WIENER considère que les systèmes tendent à la désorganisation (par analogie avec le concept d’entropie, hérité de la thermodynamique). La communication a une fonction organisatrice, dans la mesure où elle est l’expression des relations et de l’organisation entre les " êtres " et leur milieu. L’entropie est générée par le bruit, c’est à dire tout ce qui génère de l’incertitude dans la transmission du message. Pour lutter contre, il imagine que la gestion de l’information (selon Claude SHANNON) permet de lutter contre le bruit.

    L’information est donc perçue au travers d’un modèle probabiliste qui permet de mesurer l’information par sa probabilité d’apparition, et par extension de mettre en place des modèles mathématiques permettant par calcul de reconstruire une information dégradée.

    Cette logique de l’information permet d’unifier le traitement de l’information de multiples signaux sous forme de modèle numérique. Ce qui ouvre de nouvelles perspectives aux futurs supercalculateurs (qui deviennent des ordinateurs) et aux systèmes de communication numérique.

    De plus, le champ de la communication est le fédérateur des sciences. Le paradigme cybernétique aborde toutes problématiques en terme de relation avec son environnement. La communication devient donc un espace d’analogies transposables en fonction des contraintes du milieu, d’un champ à l’autre.

    3.1.2.2 Le nouveau paradigme de l’intelligence

En plaçant les phénomènes relationnels au centre de toute approche, la cybernétique questionne d’emblée les stratégies d’adaptation et de décision, qu’elle aborde en terme d’intelligence.

L’intelligence est associée à un comportement circulaire consistant à réévaluer son action en fonction de la prise en compte des actions antérieures et de l’analyse du milieu. L’intelligence fonctionne par rétroaction (feed-back). L’intelligence étant un processus comportemental, si on peut reproduire ou simuler ce comportement, on crée un système intelligent.

Cette conception, (sur laquelle des psycho-généticiens européens, comme Jean PIAGET, travaillent depuis l’entre deux guerres), déplace la nature propositionnelle de l’intelligence vers une conception procédurale. Elle oriente le débat vers l’acquis plutôt que vers l’inné.

Cette position épistémologique est une rupture comparable à celle résultant de la révolution copernicienne au niveau de l’homme. Contre la représentation aristotélicienne plaçant la Terre au centre de l'Univers, COPERNIC déplace le centre de notre système planétaire vers le Soleil. La cybernétique remet en cause l’anthropocentrisme de l’intelligence. L'intelligence n'est pas un don réservé à l'homme, c'est un comportement adaptatif susceptible d'être partagé par d'autres espèces ou reproduit par des dispositifs artificiels.

Que ce soit dans la réalisation d’un système intelligent de poursuite et de tir de DCA réalisé par Norbert WIENER ou dans le développement de l’intelligence artificielle grâce aux ordinateurs (notamment autour d’Alan TURING) comme dans la communication animale, l’intelligence n’est plus la chasse gardée de l’homme.

La distinction entre les " êtres " intelligents n’est pas faîte à partir de leur structure interne, mais de leur compétence relationnelle.

Ceci pose néanmoins la question de la réalité de l’intelligence et de la qualité de la communication. Ce à quoi Alan TURING [15] oppose l’efficacité de la simulation, c’est à dire que c’est l’effet qu’il produit qui est signe d’intelligence. Cette piste est certainement beaucoup plus féconde que celle poursuivie par un néo-rationnalisme en quête d’une intelligence artificielle absolue.

Un peu dans le même esprit, Paul WATZLAWICK [5] parle de deux réalités, la réalité primaire objective, et la réalité secondaire, celle de nos représentations et de notre croyance. C’est à partir de cette réalité secondaire que nous agissons sur la première. La théorie de la simulation prend alors toute son importance, car c’est parce qu’on croît avoir à faire à une intelligence, qu’on adapte son comportement.

Gregory BATESON [16] avec l’ensemble des membres du collège invisible de Palo Alto, développe ses approches dans le cadre des communications humaines (de l’anthropologie à la psychiatrie) en découvrant le concept de " double bind " (la double contrainte). Pour eux, l’interaction entre individu et milieu place souvent l’individu dans des situations paradoxales confrontant ses besoins et ceux du milieu. L’individu cherche à satisfaire ses besoins en s’adaptant au milieu, mais les besoins du milieu peuvent être contradictoires au sien. Par la communication, les individus tentent de gérer cette situation conflictuelle (parfois en générant des modèles (patterns) psycho-pathologisants, par exemple en instituant le malade mental qui permet aux autres d’accéder à la normalité). En travaillant sur les situations de communication, on doit pouvoir intervenir sur les processus qui organisent les relations autour du symptôme et non de la cause de celui-ci.

3.1.3 L’apport de la systémique

La cybernétique a profondément influencé le renouveau scientifique des années cinquantes et des suivantes, mais l’unité du courant va s’étioler avec la disparition de ses pères fondateurs. Néanmoins cette pensée va essaimer dans la science et la société. Avec les années soixante-dix, le renouveau de la pensée cybernétique s’opère au travers de la systémique.

Globalement le courant systémique reprend les fondements de la cybernétique en y apportant des concepts critiques et enrichis. L’apport fondamental de la systémique est celui de la complexité et de la globalité, c’est à dire celui de la limite de nos connaissances. La cybernétique travaillait sur des milieux clos, la systémique aborde des systèmes ouverts qui communiquent avec d’autres systèmes horizontalement et verticalement. " Elle tente d'expliquer comment se réalise la transition entre une organisation d'un niveau donné et celle dont elle constitue les éléments de construction " (Joël De ROSNAY) [17 p.18].

On ne peut tout connaître d’un système, car sa totalité nous échappe par les liens qu’il entretient avec les autres systèmes. Il faut donc transformer les buts de notre connaissance. Contre une recherche tous azimuts, la systémique propose une approche téléologique.

Edgar MORIN [18] introduit ainsi une nécessaire incertitude " vertueuse " de la connaissance. Si on ne peut pas tout connaître d’un système, ce n’est pas en supprimant les incertitudes qu’on le connaît mieux, les certitudes deviennent ici des mutilations. La systémique pousse à une connaissance relative (qui par extension devient relationnelle). La recherche systémique invite à intégrer autant que possible les incertitudes dans notre démarche. L’approche est réflexive. Diminuer l’incertitude c’est complexifier en éprouvant les théories et la pratique selon une démarche circulaire.

Pour aborder la globalité et la complexité, la systémique propose une méthode, la modélisation. La modélisation a pour projet de développer une vision macroscopique des problématiques. Elle s’oppose à une méthode par dissection. Plutôt que de chercher à isoler chaque élément constituant d’un phénomène, la modélisation propose de dresser la carte de leurs relations et de leurs interactions.

Plutôt que séparer les causes des effets réduits à une linéarité, on réintroduit la circularité qui entre les unités actives du système fonctionne comme une auto-éco-ré-organisation.

Modélisation : Action d’élaboration et de construction intentionnelle, par composition de symbole, de modèles susceptibles de rendre intelligible un phénomène perçu complexe, et d’amplifier le raisonnement de l’acteur projetant une action délibérée au sein du phénomène ; raisonnement visant notamment à anticiper les conséquences de ces projets d’actions possibles " (Jean Louis LE MOIGNE) [14 p.5].

Ainsi les principaux apports de la systémique se résument par l’acceptation de l’incertitude comme partie intégrante d’un schéma de connaissance téléologique. Par un mouvement circulaire et réflexif, la démarche consiste à organiser nos problématiques comme des modèles ouverts vers d’autres systèmes qui éprouvent en d’autres lieux et d’autres niveaux nos incertitudes.

L’apport essentiel de la systémique à la cybernétique est l’ouverture sur les différentes interrelations qui organisent la globalité à partir de l’infra et vice versa. La systémique s’étaye sur l’histoire du lien, non plus comme une ligne vers la vérité mais une spirale où toute connaissance n’est que provisoire et valide dans son contexte. En intégrant le cheminement chaotique de l’organisation avec la complexité des connaissances, elle redonne à l’action le sens de la décision que la cybernétique réduisait à des automatismes structurels.

La révolution copernicienne a permis à l'homme de s'échapper du géocentrisme dans lequel il était enfermé Ainsi naquit le premier paradigme. La révolution cartésienne a rendu l'univers accessible par la raison. La puissance de l'analyse et de la logique ont fait de l'homme le maître des sciences et des techniques Elle allait devenir le deuxième paradigme. La révolution darwinienne a restitué l'homme au cœur de la nature. En lui permettant de se libérer de l'anthropocentrisme, elle a fondé le troisième paradigme. La révolution systémique a su réintégrer les connaissances en un tout cohérent. Elle a redonné à l'homme sa place et son rôle dans l'univers. Elle symbolise aujourd'hui le quatrième paradigme " (Joël De ROSNAY) [17 p.329].

3.2 Communication et Médiologie

Le travail présenté dans cette monographie se réfère à ce champ particulier des études sur l’information et la communication baptisé médiologie. Convergence de différentes pensées communicationnelles, la médiologie se définit comme un nouveau paradigme des Sciences de l’Information et de la Communication, autour d’un objet, les supports du signe, et d’un projet, " l’étude des voies et des moyens de l’efficacité symbolique " (Régis DEBRAY) [19 p.16].

Science de l’inter (intermédiaire, interface, interaction…), la médiologie construit ses outils au cas par cas selon une éco-logique de la communication héritière d’une pensée circulaire. Science de la dynamique et des interactions, elle reprend et ré-interprète les apports de la cybernétique et de la systémique dans une nouvelle modélisation du sens au sein d’un dispositif complexe, la médiation.

Approche pragmatique, elle part des objets où s’inscrit le symbolique pour voir comment ils diffusent. Ne pouvant se saisir des non-objets que sont les processus, elle suit l’archéologie de leurs traces, l’histoire des moyens et des conditions de leur production. Elle interroge les pratiques et les relations qu’elles tissent par leur action.

" Un Verbe ne peut se transmettre sans se faire Chair, et la Chair n’est pas qu’amour et gloire, elle est sueur et sang. La transmission n’est jamais séraphique parce qu’elle est incarnation.[…] L’intermédiaire fait loi. La médiation détermine la nature du message, il y a primauté de la transmission sur l’être. En d’autres termes, ce sont les corps qui pensent et non les esprits " (Régis DEBRAY) [19 p.14].

La médiation n’est pas la communication, ne serait ce que par la nature épistémologique qui sépare les fondements historiques. Toutefois dans une approche fonctionnelle de la communication, la médiation est un concept pertinent.

3.2.1 Le renoncement à un scientocentrisme du champ

    L’un des apports de la systémique est une réorganisation des sciences entre elles. La cybernétique allait dans le sens d’une suppression des frontières entre les champs, la systémique va plutôt dans le sens d’une communication entre les disciplines.

    Tout projet de connaissance est multidimensionnel, par sa nature et le fait même de son étude, il engage des processus (parfois concurrents ou paradoxaux) qui appartiennent à des champs conceptuels différents.

    Depuis le théorème d’incomplétude de GÖDEL, on admet que les mathématiques ne peuvent se définir par elles mêmes, il y a un moment où l’explication des mathématiques est en dehors des mathématiques. La part d’incertitude est liée au fait qu’un problème n’a pas toute sa finalité dans un seul champ.

    Mais en plaçant la communication comme liant des disciplines, une idéologie de la communication a porté l’inter-processus en inter-discipline puis en méta-discipline.

    La médiologie s’extrait de cette dérive communicationnelle en invitant à une relativité de sa pratique. Régis DEBRAY invite à l’humilité de son projet comme étant une zone frontière parmi tant d’autres d’une connaissance interdisciplinaire.

    " L’étude des voies de l’efficacité symbolique [...] côtoie par force et par chance d’imposantes disciplines qui la nourrissent de toutes parts d’informations et de suggestions " [19 p.16].

    Les études de médiologie sont ainsi à la rencontre des sciences de la matière, des sciences du vivant et des humanités. A coté des autres sciences, peut-être en dessous, mais surtout pas au-dessus : " Les élaborations causales que nous proposons n’ont de sens que si elles nous échappent pour être reprises, modifiées, détruites par le travail de nos collègues attentifs, et –si elles leurs parviennent— par celle des acteurs intéressés " (Antoine HENNION) [20 p.267].

    Des sciences " dures ", elles prennent en considération l’histoire et les contraintes fonctionnelles des techniques. La télévision en noir et blanc de Marshall MAC LUHAN [21] avec ses lignes et sa faible définition d’image n’est plus le même support que la télévision couleur haute définition pilotée par télécommande. Les techniques évoluent, l’offre informationnelle se transforme, elle change de vitesse, de définition, s’amplifie. Les conditions physiques de notre réception sont la première condition de notre rapport aux symboles.

    Des sciences humaines, la médiologie puise dans l’escarcelle des valeurs d’usages du symbolique inscrit dans l’histoire des hommes confondue avec celle de leurs outils de signification. L’histoire des signes est héritière d’une pragmatique sémiologique comme d’une compétence cognitive, d’un pouvoir économique comme d’une dynamique psycho-affective, d’une histoire politique comme d’une histoire triviale du hasard de rencontre entre personnalités et objets.

    Les relations qu’entretient la médiologie avec ces divers champs sont pragmatiques. Son projet n’est pas de les reconstruire à sa méthode, mais de les articuler avec ses incertitudes, en souhaitant que son propre projet contribuera en retour à ces champs connexes.

    3.2.2 Clarification sur le concept de médiation

Antoine HENNION présente la médiation comme un " terme envahissant " [22 p.222]. Lieu d’articulation, il est le petit canard qui s’intercale dans la dualité des choses et des causes. " Trop général, il est incompatible avec des pensées obsédées par les constructions intermédiaires de la délégation, autant qu’avec la théorie critique qui ne voit que trahison dans toute médiation ; il convient aussi bien à des théories qui ne font des objets que des prétextes qu’à celle qui soulignent leur irréductibilité " [22 p.223]. Et il ajoute que ce sont ses ambiguïtés qui rendent le terme avantageux.

La médiation porte l’intérêt non pas sur un objet secondaire, mais sur celui du lien " tactique " entre plusieurs réalités secondaires. Elle se donne comme projet de " moins s’intéresser aux réalités installées qu’à l’installation de la réalité " [22 p.224].

La médiation est le lieu d’une approche croisée entre la linéarité historique des traces et la circularité de leur appropriation, d’une étude rigoureuse de leurs enjeux stratégiques sur lesquels se construisent nos réalités symboliques, des plus anodines comme les écoutes de la musique chez Antoine HENNION [22], aux plus révérées, comme Bruno LATOUR [23] lorsqu'il fait une anthropologie des sciences et techniques.

Le rapport entre la médiologie et la communication est celui d’un autre rapport à la technique comme fait de socialité. Rapport qui confère une autonomie épistémologique aux communications " médiatées " selon Bernard LAMIZET [7].

Dans la communication médiatée on donne à la technique " une place particulière, liée au pouvoir que sa maîtrise confère à l’acteur " [7 p.13]. Il en résulte l’hypothèse que " [...]les médiations [...] structurent l’organisation communicationnelle de la sociabilité " au travers de trois distanciations :

  • Distanciation technique : l’objet technique est socialisé par les conditions même de sa production (processus et normes techniques socialement et institutionnellement établis)
  • Distanciation par la pratique : la technique nécessite des apprentissages pour que le sujet devienne acteur. Apprentissages de normes et codes d’usages ainsi que du fonctionnement de la forme technique.
  • Distanciation intersubjective : La technique établit entre les usagers des rapports de compétences (expertise) et des rapports d’identité et d’appartenance sociale (institutionnalisation du rapport à l’objet technique).

Dans ces trois espaces différentes stratégies d’accès aux signes, leurs assemblages vont conditionner leur efficacité symbolique.

" On n’influence pas les hommes avec des paroles seulement. Les messages se transmettent aussi par des gestes, par figures et images, toutes la panoplie des archives du signe " (Régis DEBRAY) [19 p.15].

La médiation, avec la disparition de l’inter-, théorise les objets de la communication par la primauté de leur présence. " En leur [aux théories] ajoutant avec le mot médiation le suffixe " –tion " de l’action, il ne s’agit pas seulement d’insister sur le caractère " performatif ", et non " constatif " […]. L’objectif est surtout de sortir d’un partage néfaste ,entre la position " critique " des uns et le positivisme des autres. […] une analyse concrète des médias […] " (Antoine HENNION) [22].

3.2.3 La méthode médiologique

L’étude médiologique en s’intercalant entre les courants critiques et positivistes introduit une approche de la communication avec d'autres outils qui doivent permettre de naviguer entre un pragmatisme empirique et une théorisation des pratiques.

Une telle approche n’est pas le fruit d’une négociation de l’entre deux, une hybridation revendiquant une rupture et une légitimité auprès d’anciennes séductions épistémologiques. La médiologie n’est pas un adolescent qui cherche dans des conformismes provocateurs la reconnaissance de son identité et son appartenance à la grande famille.

La médiologie opère au travers de ses outils ce que Bruno LATOUR appelle un déplacement " des centres de calcul " [23]. Les outils de la médiologie doivent permettre d’effectuer un changement de perspective permettant des allers et retours entre la linéarité des faits et la circularité des causes. A l’image de la systémique, la médiologie renonce à la connaissance comme Vérité. Lorsqu’elle s’attache à l’histoire des objets de la communication, c’est moins au nom d’une objectivisation de leur constitution que des usages et pratiques dont ils témoignent.

Comme le montre Jacques PERRIAULT [24], ces usages ne sont pas donnés par les pré-requis technologiques, mais bien par l’appropriation et les croyances de ceux qui les ont investis et délaissés.

" L’espace d’une médiasphère n’est pas objectif, mais trajectif.  […]. Toute dichotomie sujet/objet, toute dualité esprit/matière, seraient donc fatales à l’appréhension réaliste de la médiasphère, qui est autant objective que subjective " (Régis DEBRAY) [19 p.43].

Au mot de " trajectif ", nous préférerons celui de " projectif ". Le trajet relie un point de départ et un point d’arrivée, le projet vise une destination. Mais les deux termes ont de commun, l’idée d’un déplacement, ce qui implique mouvement et changement de lieu, de plan. Les objets de la médiation sont vivants au travers de leurs acteurs, et le travail rigoureux du médiologue va être de chercher à conserver cette dynamique tout en la transférant vers d’autres instances de la conceptualisation permettant d’en construire une image en perspective.

C’est là tout le travail de modélisation où la perspective médiologique s’autonomise à la recherche des relations que construisent les acteurs et les objets de la représentation symbolique avec et entre eux.

Cette modélisation s’oppose à celle des " critiques " qui joue les acteurs et les objets contre,et celle des positivistes qui jouent les acteurs ou les objets séparés.

Alors au travers de modèles, nous cherchons une représentation qui ne soit pas pour elle-même, mais le lieu d’une réorganisation de notre intelligibilité des causes.

Le modèle n’est pas le lieu d’une théorie définitive, mais un outil de perspective, un lieu de transition de nos savoirs et de confrontation de nos expériences. C’est dans cette optique que nous invitons le lecteur à une interrogation des médiations interactives.

<<précédent

Introduction 3/6

suivant>>

©Vincent Mabillot 1999-2003