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Première partie:

Les médiations interactives

1Médias et technologies des communications interactives
2 Dimensions des médiations interactives
3 Interactivité et processus énonciatifs

 

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1.1.3 Le temps des interfaces

L’apport des investissements militaires a été essentiel au démarrage de l’informatique. Seule l’armée pouvait réunir autant de fonds et de perspectives pour passer en si peu d’années d’une recherche fondamentale à une recherche appliquée sans le souci d’une rentabilité économique. L’implication des milieux universitaires dans ces travaux et l’appel à des acteurs industriels pour la réalisation en série de matériel, a fait qu’au sortir de cet effort, il existait d’une part une compétence théorique et investigatrice et, d’autre part, le secteur économique pouvait trouver une réponse rentable aux développement de ces technologies.

Toutefois, nous allons abandonner pour une quinzaine d’années la branche économique de l’informatique, celle que Philippe BRETON [44] nomme la deuxième génération. Cette branche n’évolue pas en direction de la Représentation et de l’interactivité. Les machines sont encore imposantes, coûteuses et donc réservées à de grosses structures économiques qui y trouvent essentiellement un intérêt comptable. On notera tout de même que cette génération de l’informatique est celle des premiers langages de programmation (qui sont essentiellement des langages machines), et de la compatibilité entre génération de machines. Les maîtres techniciens de ces monstres forment une nouvelle caste au sein des grosses structures. Et il n’est pas sûr que d’un point de vue stratégique, ils aient eu intérêt à ce que l’informatique deviennent plus abordable, plus conviviale. En nous inspirant de Michel CROZIER [46], nous pouvons dire que les informaticiens de l’entreprise des années soixante avaient une maîtrise absolue d’une zone d’incertitude qui rendait tout le reste de l’organisation totalement dépendant d’eux.

Par contre autour de l’université les choses vont se développer autrement.

Toujours sous l’impulsion des agences du ministère de la défense américaine, l’informatique interactive se développe autour de quelques personnalités qui apparaissent comme marginales dans l’univers de la deuxième génération de l’informatique. Entre les années soixante et les années soixante-quinze, une génération de chercheurs va ouvrir la voie de l’interactivité médiatée en changeant le statut de la machine. D’un outil de calcul elle devient un système de Représentation, ce qui implique que ce n’est plus l’homme qui doit s’adapter au fonctionnement de la machine, mais le contraire.

En recoupant quelques éléments d’histoire et d’anecdotes de l’informatique piochés dans les ouvrages d’Howard RHEINGOLD [45], Philippe BRETON [44], Pierre LEVY [47], Nicholas NEGROPONTE [48], nous pouvons retracer le parcours et les convergences de plusieurs personnalités qui ont incarné un changement de paradigme dans l’informatique. Les trois grand noms de départ ont côtoyé très tôt l’univers de l’informatique, mais avec une approche d’usager.

La référence de départ est généralement Vannevar BUSH considéré comme l’inventeur du concept d’hypertexte. En 1945, il publie un article indiquant que nous ne pensons pas d’une manière linéaire et hiérarchique, mais par association. Un système de représentation nous permettant de rechercher des documents devrait non pas fonctionner par la façon dont ils sont classés, mais par les liens qui les traversent. Philippe BRETON rappelle que Vannevar BUSH, à l’époque où naissait l’ordinateur, travaillait sur des machines analogiques (par équations différentielles). Tandis que John VON NEUMANN voyait dans l’ordinateur une métaphore du cerveau orientant une mécanisation de l’esprit, la piste de Vannevar BUSH allait en sens inverse, les outils de traitement de l’information devaient s’inspirer de la logique analogique du cerveau. Jean-Pierre BALPE considère que l’idée de Vannevar BUSH n’est qu’une analogie qui n’a pas en fait abouti à l’hypertexte, car il ne prenait pas en compte les spécificités du traitement par ordinateur.

Néanmoins l’idée a porté et a été un révélateur pour l’un des plus importants pionniers des technologies interactives. Douglas ENGELBART est un des premiers à voir dans l’ordinateur la possibilité d’être un outil de représentation. Opérateur radar pendant la seconde guerre, il se dit que si les ordinateurs, dont on parle, peuvent produire un résultat imprimé, ce résultat doit pouvoir être projeté sur un écran. Il imagine alors un système permettant d’utiliser l’ordinateur comme système de coopération entre la gestion (stockage, manipulation) des données (graphiques, textuelles…) par la machine et la possibilité d’y accéder et d’intervenir à partir de leur représentation graphique. L’idée qu’introduit Douglas ENGELBART est d’utiliser l’ordinateur pour construire et représenter un univers hypothétique dans lequel on peut intervenir. Grâce à l’image vidéo cet univers peut être recalculé en temps réel.

En même temps, il faut se souvenir que les ordinateurs de l’époque sont rares et très coûteux. Il faut donc que les ordinateurs tournent à plein, et il n’est pas question que chacun ait le sien. On accède donc à l’ordinateur en temps partagé. C’est à dire qu’autour de la machine s’installe progressivement un réseau de terminaux. Avec la possibilité de stocker des données et de les partager naît le courrier électronique. Outre un lieu hypothétique de représentation, le projet de Douglas ENGELBART devient un lieu de communication.

A la même époque, c’est à dire au début des années soixante, un psycho-acousticien JCR LICKLIDER, voit aussi dans l’ordinateur autre chose qu’un supercalculateur, mais une technologie devant faire corps avec l’utilisateur. JCR LICKLIDER travaille au départ sur des modèles acoustiques. Mais il lui semble qu’il passe plus de temps à réunir des données qu’à les analyser. Il voit dans l’ordinateur la possibilité de les organiser, mais aussi de les représenter sous formes de modèles graphiques. En intervenant sur ces données graphiques, il confie une tâche d’analyse au système permettant des simulations. Grâce à Ivan SUTHERLAND, il voit se concrétiser cette dernière intuition.

Chargé du " facteur humain " au sein du projet SAGE, il va réunir et catalyser un ensemble de recherche en direction des interfaces.

On peut dire que la contribution majeure de ces deux personnalités, a été de voir dans le traitement numérique un déplacement par analogie de l’univers de l’expérience vers sa représentation numérisée, puis recomposée par la machine. Par l’interactivité (coopération homme-machine), cet univers devient exploratoire.

Avec Ivan SUTHERLAND, en 1962, c’est une autre piste qui se dessine sur l’écran, celle de la synthèse. Cet élève de Claude SHANNON est entré dans la légende un créant un programme graphique : " Sketchpad ". C’est certainement le premier programme d’infographie digne de ce nom. Sa conception poussa son auteur à une multitude d’innovations techniques et conceptuelles. Parmi les plus importantes, il permettait de réaliser manuellement une composition graphique par l’intermédiaire d’un périphérique externe lié au mouvement de la main. L’image ainsi synthétisée pouvait être conservée, puis mixée ou transformée selon différentes modalités avec d’autres images ou partie d’une même image. L’écran est alors composé d’objets graphiques.

Ces trois personnages qui se connaissent, sont au centre d’une nouvelle génération d’informaticiens qui profitant des progrès de la miniaturisation va pousser toujours plus loin la logique de l’interface et de la représentation. Si la machine fonctionne avec un moteur numérique, ce n’est plus pour traiter des chiffres, mais interagir sur des représentations.

A partir de ce moment là, toute représentation visuelle ou sonore qui pourra être numérisée, pourra entrer dans l’ordinateur sous forme de données. Alors toute action sur ces données pouvant faire l’objet d’une mathématisation permettra d’agir dessus. Tout programme partageant l’automatisation et les décisions d’actions sur les données ouvre la porte à l’interactivité.

Ainsi les technologies interactives numériques sont prêtes pour devenir le lieu de nouveaux investissements de développement et d’usage. La numérisation interactive intéresse les arts car ils y trouvent de nouveaux outils de représentation et de manipulation de leurs objets. Elle propose un nouveau support de conservation des données fiable et de moins en moins coûteux. Surtout, elle permet un accès exploratoire aux représentations lié à leur usage et non à leur seule production.

A partir du milieu des années soixante-dix cette branche de l’informatique va commencer à s’installer dans toute la société par le croisement de plusieurs facteurs.

La baisse des coûts et la miniaturisation permet de développer des systèmes de plus en plus puissants tout en étant de plus en plus abordables par de petites structures ou par des individus. Le nombre d’initiatives et de lieux de recherche expérimentale augmente.

Dans le même temps l’armée américaine se désengage de la recherche informatique contraignant les équipes de recherche à trouver d’autres investisseurs.

Parallèlement sur les campus comme en dehors, certains courants alternatifs trouvent dans les technologies numériques et interactives de nouveaux espaces conceptuels et créatifs.

Nos trois personnages (Douglas ENGELBART, JCR LICKLIDER et Ivan SUTHERLAND) ont ouvert des espaces imaginaires propices à des investigations qui sortent d’une pure idéologie du chiffre et du calcul (même si en tache de fond c’est toujours le cas).

Par ailleurs, les poids lourds de l’informatique de l’époque ne voient pas le marché qui se profile et laissent naître une micro économie du logiciel et du matériel qui va très vite et à laquelle, vingt ans après, ils ont encore du mal à s’adapter.

Ainsi c’est tout naturellement que les nouvelles technologies interactives vont se développer et se créer une culture au contact de l’univers ludique et de l’univers des médias, établissant entre les deux la passerelle de l’interactivité.

Howard RHEINGOLD [45] ainsi que Sherry TURKLE [29] montrent qu’à la naissance des années soixante-dix, le jeu vidéo fait l’effet d’un déclencheur annonçant l’avènement des technologies numériques interactives. La naissance des jeux vidéo est très représentative du contexte d’explosion de la troisième informatique, la micro-informatique.

Comme nous l’avons signalé, les premiers jeux vidéo sont nés dès les années soixante au MIT. Le marché du jeux vidéo va être créé par des étudiants des universités à la pointe de l’informatique.

Plusieurs conditions permettent cette émergence. Les étudiants de cette époque, constituent la seconde génération d’informaticiens. Ce ne sont plus les inventeurs de l’ordinateur, mais ses premiers vrais utilisateurs. Ils sont jeunes et ne sont pas arrivés à l’informatique par les chemins détournés de l’effort de guerre. L’évolution technologique a miniaturisé et fait baisser considérablement les coûts de matériaux de bases (des lampes électroniques on est passé aux transistors puis aux puces (circuits intégrés) en silicium).

Ainsi un jeune étudiant Nolan BUSHNELL, imagine la premier jeu vidéo commercial, Pong. Le principe est simple, deux rectangles blancs opposés symétriquement sur un écran vidéo sont déplacés par deux joueurs qui se renvoient ainsi un petit carré blanc symbolisant une balle. Il réalise tout seul l’ensemble du système: de l’électronique à la programmation en passant par la borne dans laquelle le jeu est installé. Puis il demande au gérant de la salle de flipper qui se trouve à coté de chez lui la possibilité de mettre sa machine au milieu des autres. La légende raconte que Nolan BUSHNELL dût revenir dans les deux jours qui suivirent, la machine était bloquée… par le monnayeur plein. Il fonda sur ce succès la société Atari.

Quelques années après, le jeu " PacMan fît plus d’argent que Hollywood et Las Vegas réunis "(Howard RHEINGOLD) [45 p.296].

Dès lors l’industrie du jeu vidéo devient l’un des principaux financiers de la recherche interactive. De nombreux jeunes chercheurs, s’ils ne quittent pas complètement les laboratoires universitaires, arrondissent confortablement leurs fins de mois en créant des jeux vidéo.

Sur le même principe de bricolage, Steve JOBS conçoit le premier Apple et monte une société visant à rendre accessible l’ordinateur à domicile, la micro-informatique. Le pari est là aussi réussi, et c’est par surprise que IBM et les quelques autres gros fabricants d’ordinateur découvrent qu’il y a un marché pour le grand public et les petites entreprises.

Le succès des jeux vidéo ne mettra en revanche pas longtemps à faire réagir le monde du spectacle et en particulier celui du cinéma, de la télé et de la musique. Le cinéma investit massivement dans l’industrie du jeux vidéo. Dès le débuts des années soixante-dix, la musique découvre les synthétiseurs et le son numérique. Le cinéma et la télévision utilisent l’informatique pour créer des effets visuels et des titrages à la fin des années soixante-dix (effets qui sont utilisés dans un tout nouveau genre, les clips vidéo).

Orientés vers la Représentation, des investissements sur les technologies de numérisation permettent des avancées vers une qualité d’échantillonnage et de synthèse du son et de l’image de plus en plus parfaites (c’est à dire concurrençant et dépassant au niveau de la définition les supports analogiques).

Dans les années quatre-vingt le son CD balaye le son analogique des disques vinyles. Les années quatre-vingt-dix, sont celles de l’image et de l’avènement des environnements graphiques sur la totalité des micro-ordinateurs.

Désormais l’informatique est massivement orientée vers l’interactivité et la communication.

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©Vincent Mabillot 1999-2003