3.5 Interactivité
intersubjective et interactivité médiatée
Le
concept d’interactivité (tel que nous l’avons présenté)
remet en cause une distinction rigoureuse entre communication
intersubjective et communication médiatée.
Bernard LAMIZET
écrit : " En effet dans le champ
de la communication intersubjective, c’est la relation à
l’autre qui constitue le fait déterminant de la situation
de communication, et, par conséquent, la technique
est subordonnée à la mise en œuvre de la relation "
[…] " c’est dans la communication médiatée
que, parmi les médiations qui structurent l’organisation
communicationnelle de la sociabilité, la technique
occupe une place particulière, liée au pouvoir
que sa maîtrise confère à l’acteur qui
le détient " [7 p.15].
Nous
préférerons nous référer aux interactions
à partir Erwing GOFFMAN [6]. Il place formellement
le concept d’interaction au centre de son œuvre et le rend
quasi synonyme de relation. L’interaction est un processus
de synchronisation de la relation entre plusieurs êtres.
Chacun réévalue en permanence son comportement
dans la situation, au regard de ce qui s’y passe.
Certes
l’approche d’Erwing GOFFMAN reste très centrée
sur les communications intersubjectives, mais elle fait du
corps de l’individu un médium. Dans la relation, l’individu
joue un rôle et ce donne à voir. Le soi est en
dessous, c’est l’esprit non matérialisé à
la perception d’autrui.
Que
ce soit donc au travers de la présentation de soi et
des rôles que chacun adopte dans la maîtrise du
procès de communication, la relation est médiatée
dans la Représentation de son déroulement. Il
y a certainement au moins autant de rapports de pouvoir dans
les communications intersubjectives que dans les communications
médiatées.
Par
ailleurs avancer le primat de la technique sur la relation
dans les communications médiatées, c’est limiter
la communication à une réciprocité qualitative
des représentations partagées. En reprenant
l’hypothèse de la technologie comme objet transitionnel
ou objet hypnotique, le média joue alors un rôle
relationnel de substitution. On peut être critique sur
la qualité du contenu de cette médiation, mais
on doit considérer qu’il y a de la part des utilisateurs
la recherche d’un état relationnel.
Une
différenciation peut-être plus pertinente entre
les communications intersubjectives et les communications
médiatées est le rapport au temps et à
l’espace de la représentation. La caractéristique
de la communication intersubjective est le syncrétisme
entre le lieu et le moment d’expression du contenu et sa représentation.
Dans une situation de communication verbale duelle, l’énonciation
d’un des acteurs est perçue par sa production.
Dans
une communication médiatée, il y a un déphasage
temporel ou spatial entre la production et son expression.
Ceci implique qu’il y ait un détachement du contenu
avec ses conditions de production et de réception.
Pour que la communication fonctionne, le médiateur
(en l’occurrence le média) doit permettre une ré-énonciation,
être le lieu d’une réactualisation du contenu
de l’énonciation. Cette capacité de réactualisation
est déterminée par les qualités du médiateur
et la compétence des acteurs à utiliser celles-ci
pour redonner du sens au contenu symbolique énoncé.
Cela implique des compétences relatives aux distances
qu’institue la médiation par rapport aux conditions
d’usages de la technique. Mais la communication intersubjective
contient aussi des distances techniques. La maîtrise
des conditions de l’expression verbale, le rapport à
la topographie de la situation ou les rapports sociaux intersubjectifs
sont autant de facteurs qui confèrent du pouvoir à
ceux qui en ont le contrôle.
En
revanche, il est vrai que dans les communications médiatées
la remise en cause des zones de pouvoir contrôlées
par la technique semble devoir échapper à une
transformation uniquement relationnelle. Un ordinateur se
laisse difficilement convaincre de changer d’opinion.
Par
ailleurs, les médiations interactives posent une double
interaction. Il y a une interaction intersubjective dans la
relation entre utilisateur et " être machine "
et une interaction technique dans la production coopérative
du discours. Il paraît abusif de vouloir séparer
les deux. C’est d’ailleurs sur les conjonctions et les disjonctions
de ces deux niveaux d’interactions que nous développons
notre hypothèse.
Les
remarques que nous formulons sont uniquement relatives aux
dispositifs interactifs. Hors interactivité, il est
vraisemblable que l’approche de Bernard LAMIZET est d’une
tout autre portée.
Nous
montrons, au cours de la partie suivante, en abordant la question
des acteurs opérants que l'intersubjectivité
est présente et négociée dans les médiations
interactives. Michèle GROSSEN et Luc-Olivier POCHON
illustre cette intersubjectivité tant au niveau des
acteurs co-présents dans la situation d'usage que dans
les rapports qui s'établissent entre utilisateurs et
concepteurs au travers du système.
Ce
cadrage nous permet de définir le champ des médiations
interactives. Nous proposons un contexte méthodologique
pour étudier ce champ au regard de notre problématique.
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