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Spécial Thèse


Deuxième partie

La position spéculaire
Contexte méthodologique d'une analyse des médiations interactives

1 La méthode: Lecture événementielle et position spéculaire
2 Les constituants des dispositifs interactifs
3
Evénementialité de la médiation

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3.1 Cadrage de la médiation : les limites de l’interactivité

En présentant la logique événementielle à laquelle introduit l’interactivité, nous avons évoqué une première considération sur le niveau d’interactivité d’un dispositif en partant du potentiel interactif de chacun des êtres ; précisons qu’il s’agit d’un potentiel réciproquement reconnu. C’est sur cette base que nous présentons plusieurs critères à partir desquels nous pensons qu’un dispositif est identifiable à une médiation interactive.

Ces critères nous permettent d’une part de définir si nous avons à faire à une médiation interactive, quand celle-ci s’engage-t-elle, sur quelles bases et quand prend-elle fin.

La coopération interactive : le contrat invisible

La médiation interactive, ne s’engage et ne s’institue comme telle que si l’utilisateur s’engage dans un discours dont il ne sera pas le seul énonciateur ou destinataire et si l’acteur technologique lui renvoie la preuve de sa participation. C’est un peu la cérémonie du " allo " qui engage la conversation téléphonique. Nous parlons d’un acte phatique.

Les compétences interactives du système apparaissent chaque fois que ce dernier interprète un acte opératoire d’un acteur par une transformation du contenu. Les compétences interactives des acteurs apparaissent chaque fois qu’ils relativisent leur comportement opératoire aux propriétés du contenu.

L’interactivité d’une médiation interactive est circulaire : La performance du symbolique est relative à la performance opératoire qui elle même est relative à la performance symbolique. Le contrat n’est validé qu’à partir du moment où utilisateur et technique ont engagé leur coopération.

Pour qu’un dispositif soit interactif, il faut au moins deux êtres ayant chacun un niveau d’interactivité supérieur à zéro. Toutefois, l’interactivité n’est pas constante. Par exemple, lorsqu’un utilisateur attend le moment opportun pour agir, il n’y a aucune interactivité qui transparaît dans le procès de la médiation. Ce qui ne veut pas dire que l’utilisateur ne peut pas intervenir. Il est dans ce que nous avons nommé la latence interactive (voir p.104). Il peut intervenir, mais il ne le fait pas par intention, par choix. Tant que potentiellement il peut intervenir, la médiation reste interactive.

L’interactivité hiérarchique

Il y a une différence hiérarchique entre les différents niveaux d’interactivité basée sur leur complexité. Les acteurs du dispositif n’ont pas forcément le même niveau d’investissement interactif. Comme nous l’avons signalé, les systèmes mettent, par exemple, rarement en jeu une interactivité génératrice.

Nous considérerons néanmoins, que l’interactivité d’un dispositif est qualifié par l’acteur engageant le niveau d’interactivité le plus élevé dans la médiation. Et compte tenu de la définition que nous donnons de l’interactivité, nous considérerons qu’un dispositif sera interactif, si, répondant à notre premier critère, il satisfait aussi au cours de la médiation à un niveau d’interactivité génératrice.

Si au cours de la médiation, il n’y a que des interactions de niveau 1 ou 2, nous estimons qu’il s’agit d’un dispositif d’interdépendances, mais non-interactif. Il y a entre les acteurs du dispositif une réaction en chaîne, en cascade.

Ce critère amène deux précisions :

  • L’inconstance du niveau d’interactivité du dispositif
  • L’évolution du niveau d’interactivité

Au cours d’une même médiation, nous pouvons être amené à constater une variation d’un niveau d’interactivité. Il paraît de fait arbitraire de qualifier un dispositif en fonction d’une seule compétence requise au cours de la médiation. Toutefois nous postulons au cours de cette étude que c’est ce moment interactif qui est le plus déterminant. En effet, si au cours du dispositif, il n’est à aucun moment nécessaire de formuler une réponse générative, nous sommes dans le cadre d’un dispositif automatique assimilable à un dispositif mécanique ou technique. Nous ne considérons pas ce type d’échange comme une situation communicationnelle, mais comme un système opératoire informationnel. Il ne donne lieu à aucune formulation symbolique.

D’autre part, comme nous l’avons remarqué en présentant le critère précédent, la compétence interactive est susceptible d’évoluer en cours ou hors de la médiation.

Par exemple, les premières fois qu’un joueur fait un shoot’em up * du type Space Invaders, son comportement est original. Il met en place des stratégies et improvise face à l’arrivée de vagues de soucoupes volantes. Au fur et à mesure qu’il pratique, s'il constate que le déplacement des vaisseaux ennemis est fixé, il mettra au point une stratégie optimisant ses déplacements sur l’écran et chacun de ses tirs. Lorsqu’il aura atteint une maîtrise réflexe de sa stratégie, il sera devenu invincible, mais le dispositif aura perdu sa nature interactive.

Par les deux précisions que nous venons d’apporter, notre démarche est restrictive et nous avons tout à fait conscience que nous perdons une partie de la compréhension du sens dont elles sont porteuses. En effet, il y a des significations certainement très fécondes sur l’analyse d’une syntaxe des niveaux interactifs. De même, en perdant en partie l’évolutivité des compétences interactives, nous risquons de manquer en partie les enjeux d’une utilisation de la technologie comme objet ayant une fonction d’objet transitionnel (au même titre que le jeu chez le psychologue Donald W WINNICOTT [37]) ou une fonction hypnotique.

 

L’acte phatique

La médiation interactive commence par un acte phatique, un acte par lequel l’utilisateur institue la médiation.

Tout contact avec un média commence par un acte phatique (consistant par exemple à allumer une télévision). Pour notre part, nous nous intéressons surtout à l’acte phatique entre l’acteur et le personnage.

Pour que l’acte phatique ait lieu, il faut que l’acteur ait une conscience de la relativité d’un changement d’énoncé en fonction de son action.

Il doit d’abord identifier la présence d’un énoncé et l’existence d’un système agissant dessus. C’est à dire qu’il faut qu’il identifie une interface.

L’acte phatique permet de situer le personnage et de l’identifier dans l’énoncé. Là où il y a transformation de l’énoncé lors de cette acte, il y a manifestation du personnage. A ce stade, nous ne pouvons distinguer le personnage que s’il se manifeste par une transformation localisée de l’énoncé, ou par une transformation globale. La poursuite de l’interaction et des événements qui la caractérisent permettent ensuite de qualifier avec plus de précision la relation entre acteur et personnage. Cet aspect est traité dans le cadre des événements types.

Il y a deux modes de manifestation de l’acte phatique. Le premier est lié à une approche inductive, par tâtonnement du dispositif. Le second est déductif, il est identifié avant même que l’acteur passe à l’acte, il est hérité d’une culture du dispositif. Dans la mesure où aucun phatique n’est identifié, nous nous trouvons certainement devant une médiation non-interactive.

Le phatique empirique

Vers 6 à 8 mois, nous avons observé qu’un enfant pouvait commencer à se servir d’une télécommande de télévision au même titre qu’il se rend compte qu’un clavier peut éventuellement avoir un effet sur l’image d’un ordinateur.

Mais en général à cet âge là, l’enfant agit essentiellement par imitation.

Mes filles venaient vers l’ordinateur lorsque je travaillais dessus. Souvent elles essayaient de taper sur le clavier. Mais les gestes étaient totalement aléatoires. Il leur était impossible d’utiliser la souris.

Néanmoins, elles avaient conscience de l’endroit où se manifestaient leurs actes. Elles avaient conscience a posteriori du rapport de leur actes avec une quelconque modification du contenu de l’écran. Le même rapport fonctionnait avec la télévision et était d’autant plus visible. Elles appuyaient sur la télécommande en la regardant et le changement de chaîne leur faisait brusquement relever la tête en direction de l’écran. De même lorsqu’elles appuyaient sur le bouton de volume, le brusque changement de son en provenance de la télé attirait leur attention en direction de la source qui était la même que celle de l’image (Si à ce moment là elles se trouvaient très près de la télé, elles regardaient en direction des enceintes de l’appareil et non vers l’écran, mais à une certaine distance les deux sources se rapprochent).

Il est vrai que sur l’ordinateur, je n’utilise pas seulement des programmes sonorisés, et sur un traitement de texte, il n’y a pas beaucoup de transformation de l’image. Les transformations sont donc moins contrastées et donc repérables.

Sur ce constat, j’ai programmé un petit jeu dans lequel l’appui sur n’importe quelle touche du clavier produisait un son et transformait l’image affichée.

Pendant plusieurs semaines, l’attention à l’image a été rétroactive. Les filles massacraient le clavier et de temps en temps relevaient la tête. A partir du 8ième mois, elles ont commencé à agir moins aléatoirement. C’est à dire que chaque acte sur le clavier a été soumis à un contrôle visuel. Entre le 12ième et le 18ième mois, j’ai commencé à individualiser les fonctions des touches. L’image ne se transformait qu’à partir d’une seule touche et elle pouvait être déplacée à l’aide des touches fléchées du clavier. Sans en maîtriser le fonctionnement, les touches ont été progressivement distinguées, comme pour les touches de la télécommande de la télévision. Et comme c’est le bouton d’arrêt en vert qui était le plus identifiable, il a fallu un temps cacher la télécommande pour voir plus de 15 secondes d’émission consécutive.

On peut dire que c’est vers le 8ième mois que sont apparus les premiers phatiques interactifs, lorsqu’il y a eu intentionnalité de transformer le contenu de l’énoncé.

On retrouve le phatique empirique dans d’autres usages que ceux de la découverte de l’interactivité par le petit enfant.

Les néophytes manifestent aussi l’usage du phatique empirique. Ils essayent pour " voir ce que ça fait ".

Des utilisateurs plus chevronnés font aussi usages de stratégies phatiques empiriques. Lorsque que des copies de logiciels circulent sans notice de fonctionnement (programmes de démonstration, jeux piratés…), si l’utilisateur n’a pas eu d’information sur le logiciel, il peut lui arriver d’essayer à tâtons de voir où et comment il intervient. Toutefois ce cas se présente lorsque le phatique culturel a échoué. Ce sont généralement l’œuvre de gros consommateurs de logiciels. Quand ils sont à la recherche du phatique, ils se mettent souvent à essayer aléatoirement chaque touche du clavier, puis ils passent par une phase beaucoup plus rigoureuse, ou chaque touche est essayée seule, puis en combinaison avec d’autres.

Le phatique empirique est aussi utilisé lors de " plantage " du système ou lorsque la médiation l’utilisateur est désactivé par surprise, il perd le contact avec son personnage. Ces cas se produisent quand il y a un dysfonctionnement du système qui le bloque. L’énoncé semble ne pas avoir changé, mais l’utilisateur a perdu le contact. Comme les procédures " normales " ne fonctionnent plus, l’utilisateur tente de retrouver le contact par la " bande " ou s’il n’y arrive pas, il cherche une clôture complète de la médiation. Ce cas apparaît aussi lorsque la mise en veille de l’acteur est trop longue pour l’utilisateur (diffusion d’un document qu’il ne peut interrompre, temps de réponse trop long).

On identifie un phatique empirique au fait que l’acteur agit et constate l’effet de son acte.

Le phatique culturel

Le phatique culturel est défini en opposition au phatique empirique. Dans ce cas, l’acteur identifie d’emblée son rôle, il sait où se trouve son " personnage ". Il se réfère à l’apparence de l’énoncé.

Le phatique culturel nécessite une connaissance préalable du dispositif ou qu’il fasse référence à un autre dispositif connu par l’utilisateur.

Il est acquis ou transmis par un apprentissage ou un guide de l’utilisateur.

L’identification commence par le matériel, identification des lieux de l’interface (lieu d’action et lieu de perception), ensuite par l’environnement d’interaction dans lequel se trouve l’énoncé qui a été localisé.

L’environnement identifié, l’utilisateur sait quels sont les moyens de son action.

L’acquis est le fruit d’un usage préalable de ce dispositif. Lorsqu’un utilisateur se retrouve dans la même situation, il fait référence à un usage antérieur.

L’identification du phatique peut aussi être un transfert d’une information en provenance d’un autre support (guide d’utilisateur, publicité, critiques de magazine, diffusion d’extraits ou de démonstration). Mais ce transfert ne se fait automatiquement que si l’utilisateur a une connaissance antérieure de l’environnement de l’énoncé.

Le phatique culturel met tout de suite l’utilisateur dans le " bain ". C’est ce qui justifie depuis plusieurs années les guerres numériques de la standardisation et des essais de normalisation de la pratique.

La maîtrise de la pratique recouvre des adaptations socio-cognitives, mais ces pratiques se construisent dans un environnement ayant certaines règles d’usages de l’interface, un mode d’emploi.

Umberto ECO dans un article, se plaisait à distinguer les pratiques de certaines interfaces célèbres en les comparant avec des religions. Il associait ainsi l’interface graphique des Macintosh d’Apple à la contemplation de l’icône chez les catholiques. L’image suffit à adorer. Le système de ligne de commande DOS, était une approche protestante de l’informatique. Sobriété, austérité et nécessité de connaître le texte à la lettre. Windows devenait alors l’anglicanisme, un mélange subtil de l’icône derrière laquelle le texte est visible. Enfin, le système Unix représentait le Talmud, une interface incompréhensible et totalement hermétique au non-initié.

Les normes d’usages des interfaces sont parfois des contraintes éditoriales fortes. Elles font souvent l’objet de livres dans les contrats de développement. On peut citer par exemple le livre vert de Philips qui définit la conception d’un CD-I. Nintendo impose aussi ses propres critères d’interfaces. Microsoft ou Apple imposent aussi des normes dans le développement d’applications pour leurs environnements. Microsoft exige notamment que dans un menu si un item ouvre une boite de dialogue, il doit être suivi dans le menu de trois petits points. Si l’item exécute directement une fonction (qui ne nécessite pas le paramétrage d’une boite de dialogue), il ne doit pas être suivi de petits points. Le non respect de ce type de normes peut condamner le produit à ne pas avoir le label de compatibilité, entraîner des poursuites pour rupture de contrat de développement.

Les phatiques culturels sont activés au regard du symbolique. L’utilisateur interprète d’abord l’énoncé et ensuite agit.

Il peut ne pas agir tout de suite, mais ayant identifié sa position d’action, il est en latence interactive, c’est à dire qu’il sait qu’il peut agir, mais intentionnellement il ne le fait pas.

L’énoncé contient un élément performatif. Sa forme varie alors en fonction de la nature de l’énoncé. Cet élément performatif peut être associé à la globalité de l’énoncé (environnement) ou à un élément partiel (une icône, un personnage dans un jeu ou un message du style " appuyer sur la barre d’espace ").

Dans le dernier cas, l’utilisateur peut être un néophyte du logiciel, mais pas de l’ordinateur.

L’absence de phatique

Il n’y a théoriquement pas d’absence de phatique dans un dispositif interactif. Car tant qu’il n’y a pas eu ce contact phatique, la médiation interactive n’est pas engagée. Il existe néanmoins de nombreuses applications démarrant pendant un temps en mode non interactif. Elles présentent un titre, une séquence d’animation ou tout autre document.

On peut considérer que si l’utilisateur a dû lui-même faire démarrer l’application, son lancement est un phatique.

Par contre s’il s’agit d’une application sur un système tournant en boucle (borne interactive), l’absence de phatique apparaît comme paradoxal à l’utilisateur qui a identifié le système. A moins qu’il ne se trouve en face d’un énoncé performatif lui indiquant qu’il va bientôt entrer en " scène ", il s’engagera soit à rechercher un phatique empirique, soit il renoncera.

La clôture de la médiation

Le dispositif cesse d’être interactif lorsque l’un des acteurs (acteur ou système) ne peut plus interagir dans la médiation. La clôture pose la question de la latence. A partir de quand la latence devient-elle clôture ?

La clôture d’une médiation interactive se produit lorsqu’il y a rupture de la circularité entre la sphère opératoire et la sphère symbolique.

Il n’y a dans l’absolu qu’une seule clôture définitive : la disparition définitive d’un des participants de l’interaction.

La question est d’ailleurs indirectement posée par Jacques PERRIAULT [82] dans son article sur la construction cognitive et les jeux vidéo. Il remarque dans ses études, que les stratégies cognitives permettant de résoudre des usages informatiques ne s’arrêtent pas avec la machine. Entre deux séances, les personnes continuent à travailler mentalement, dans un inconscient cognitif, les problématiques qu’ils ont rencontré. Ce travail cognitif est réinvesti dans la séance suivante. Les joueurs de jeux vidéo connaissent aussi très bien ce phénomène. Il arrive qu’au cours d’une partie, leur progression s’arrêtent. Ils ne trouvent pas de solution ou de stratégie pour passer à l’étape suivante. Lorsqu’ils reprennent le cours du jeu quelques jours après, ils passent, sans difficulté et au démarrage de la session, l’obstacle qu’ils avaient rencontré précédemment. Ce phénomène est celui d’un inconscient cognitif. La Représentation de la médiation est devenue représentation mentale qui sur une scène intérieure s’est rejouée, réorganisée.

Rappelons que la latence interactive correspond à une situation où l’un des acteurs peut potentiellement agir, mais qu’il ne le fait pas.

Il ne faut pas confondre non plus la clôture interactive avec une latence forcée, qui correspondrait à une suspension momentanée de l’interactivité (que l’on peut assimiler à une action durable à réponse différée). C’est le cas que nous avons cité précédemment à propos de l’usage d’une vidéo dans un hypermédia. Comme nous avons créé le terme de latence interactive, nous ajoutons dans le cas présent celui de suspension interactive.

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©Vincent Mabillot 1999-2003