Deuxième partie
La
position spéculaire
Contexte méthodologique d'une analyse des médiations
interactives
Au cours de la partie
précédente, nous avons montré les spécificités
du champ que constitue les dispositifs médiatiques
interactifs. Nous proposons au cours de cette partie une méthodologie
permettant d'appréhender le discours de ces dispositifs.
Tirant partie de nos
développements précédents, nous envisageons
de construire un outil méthodologique pour éprouver
nos hypothèses.
Notre problématique
interroge chaque niveau des " trois dimensions " de
la médiation: Quels artifices sont mis en scène
par un dispositif interactif pour créer une expérience
symbolique?
L’identification des
artifices constitue le corpus des données permettant
de tester nos hypothèses. Au cours de cette partie,
nous proposons une approche pour repérer et caractériser
ces artifices. A partir de là nous envisageons de pouvoir
observer avec pertinence des dispositifs interactifs pour
voir ce qui s'y joue.
La relation circulaire
et récursive entre un dispositif opératoire
et un dispositif symbolique caractérise, par l'usage,
une médiation interactive. Mais une analyse à
partir de l’un ou de l’autre est intenable.
Selon notre hypothèse,
le dispositif médiatique fonctionnerait par un ensemble
de déplacements autour de la coupure sémiotique.
S’articulant entre eux, ils transformeraient en partie le
champ symbolique en champ de l’expérience et vice versa.
Nous dirons que cet ensemble de déplacements de renvois
constitue un hypothétique champ spéculaire.
Le terme de spéculaire
renvoie directement à l’image du miroir et donc de
la représentation de soi. Il se fonde sur l’hypothèse
que le procès de la médiation est celui de l’organisation
d’une double représentation concrète et symbolique.
La médiation donne (le) lieu à cette réorganisation
par projection et identification des représentations
primaires et secondaires mises en scène.
Le miroir est un objet
de prédilection pour Jacques LACAN [77] qui
voit dans le rapport spéculaire un stade crucial de
la constitution de l’individu différencié en
tant que soi. Aux environs du quatrième mois après
la naissance, le nouveau né découvre le miroir
comme objet permanent renvoyant des images différentes.
C’est à partir du sixième mois que le nourrisson
découvre progressivement le reflet et établit
progressivement un rapport entre l’image et l’être représenté,
lui. Jusqu’aux environs du dix huitième mois, le petit
enfant va ainsi découvrir la globalité de son
corps et de fait son détachement entre lui, les autres
et son environnement. Cette découverte est totalement
jubilatoire pour lui. Chacun constate le bonheur de l’enfant
à la vue de son image dans un miroir, mais aussi sur
une photo ou tout autre représentation visuelle. Norbert
SILLAMY [78] attribue à Jacques LACAN la découverte
de l’unité de son être par un enfant selon le
processus d’une " intuition illuminative ".
Jean PIAGET [79] préfère voir quant à
lui une formation génétique et déductive
de la représentation. La représentation est
le résultat d’une maturation cognitive permettant de
passer d’une expérience abductive, par tâtonnements,
à la mise en place de processus déductifs. Cette
déduction est le fruit du passage de schèmes
sensori-moteurs à des schèmes représentatifs.
De fait, la représentation mentale ne fonctionnerait
pas comme une association avec une représentation visuelle
pure. D’une part parce que la compétence perceptive
évolue (par exemple avec la perception du mouvement)
et d’autre part parce que la représentation est l’assimilation
plus ou moins concrète d’une expérience et pas
seulement un souvenir visuel ou dynamique, elle est symbolisation.
" La représentation
n’est pas le résultat du travail d’assimilation psychique
du monde. Elle est ce travail ". (Serge TISSERON)
[3]. Nous marquerons un léger désaccord
avec l’affirmation de Serge TISSERON en considérant
que la représentation est à la fois processus
et résultat du processus. Dans l’article cité,
le psycho-médiologue se place uniquement dans une définition
psychique (ou mentale) de la représentation. Mais on
peut entendre les termes de médiation à plusieurs
niveaux. Il y a certes le processus mental, mais il y a aussi
la production et l’organisation d’une scène sémiotique.
Il y a une théâtralité de la représentation,
une organisation concrète d’un discours au travers
des signes et des acteurs. Une sorte de représentation
publique incarnée. Cette dimension est proche de la
re-présentation.
En reprenant les thèses
d’Erwing GOFFMAN : " L’idée selon
laquelle on procède à une présentation
de son moi aux autres n’est guère originale ;
ce qu’il faut souligner en revanche, c’est que l’on peut analyser
la structure même du moi en fonction des dispositions
pour donner ces représentations " [6]
et en jouant sur un principe de réversibilité,
on peut s’avancer à dire que la représentation
est une symbolisation des infra-structures des éléments
participants à la mise en scène, du système
des interactions qui les lient. C’est ainsi qu’Erwing GOFFMAN
distingue le personnage de l’acteur. Le personnage correspond
au moi profond de l’individu. Dans l’acteur il extériorise
ce moi en l’adaptant à une mise en scène particulière
en cherchant dans l’acte à protéger, préserver
ou renforcer son moi profond. L’acteur est un échafaudage
de la construction publique du personnage. Si le psycho-sociologue
s’attaque à l’aspect provisoire et pathologique que
revêt cette image, le médiologue essayera de
voir en quoi, la médiation est héritière
de ces enjeux de la représentation. Ce à quoi
nous introduit aussi Erwing GOFFMAN, c’est l’élargissement
de la médiation de son contenu à la situation
globale qu’il représente en tant qu’acte. Chaque élément
de la médiation est miroir d’un signe et miroir de
ces producteurs.
Cette conception d’une
théâtralité de la scène interactive
est développée par Brenda LAUREL dans " Computer
as a Theater " [80]. Elle met l’accent sur
les concepts d’acteurs et de personnages. Nous inspirerons
de cette terminologie lorsque nous associons les opérateurs
du dispositifs à des acteurs et la représentation
de leur action comme l’interprétation d’un rôle.
Les figures de l’interprétation sont alors le personnage,
un reflet partiel ou symbolique de l’acteur.
Notre champ spéculaire
est initialement une construction (au moins théorique
et méthodologique) de l’usage superposant et condensant
dans une même image (représentation mentale ?)
les deux champs (opératoire et symbolique). Par hypothèse,
les analogies entre le fonctionnement de l’un et le déroulement
de l’autre permettent aux acteurs de la médiation interactive
de combler l’indétermination de chacun des champs (symbolique
et expérience) à partir de l’autre. L’efficacité
symbolique des médiations interactives reposerait sur
cette articulation.
En d’autres termes,
pour vérifier notre hypothèse, nous considérons
qu’il y a des passages entre l’expérience de la médiation
et son contenu symbolique qui reposent sur des analogies entre
ce qui est représenté et ce qui ce passe dans
les faits de la médiation. Ces analogies caractériseraient
une expérience symbolique en mettant entre parenthèse,
dans un champ spéculaire, la coupure sémiotique
( " comme si " certaines choses devenaient
des signes et certains signes des choses). Ce sont ces analogies
que nous nommons les artifices de la mise en scène
des dispositifs médiatiques interactifs. L'analyse
spéculaire est une méthode qui doit identifier
et caractériser ces analogies pour faire un profil
du dispositif médiatique à l'œuvre.
Nous proposons un déplacement
de l’observation à partir d’une position théorique
(une position spéculaire) pour appréhender les
logiques qui articulent les deux champs.
Cette position consiste
à se mettre dans la position d'un acteur du dispositif
et à observer les événements qui constitue
la médiation à partir de la représentation
de ces actes au niveau de la production symbolique.
Nous sommes conscient
du risque de construire une position d'observation méthodologique
qui d'une certaine manière anticipe sur la vérification
de nos hypothèses. Nous proposons dans un premier temps
de clarifier cette approche et les limites que nous percevons.
Puis nous préciserons
les deux axes sur lesquels nous fondons notre constitution
de corpus.
Le premier consiste
en l'identification "d'objet", de "valeurs" constituant le
déroulement de la médiation.
Le second axe prend
en compte l'aspect dynamique de la médiation, la relation
entre les objets (du champ de l'expérience ou du champ
symbolique).
Nous utilisons ces éléments
méthodologiques dans la partie suivante pour observer
des médiations interactives. Nous rapprochons ces analyses
entre elles ainsi qu'avec d'autres observations au cours de
la quatrième partie pour dégager des propriétés
des médiations interactives.
1
La méthode: Lecture événementielle et
position spéculaire
1.1Constitution
d'un corpus: le relevé événementiel
1.2 Contexte épistémologique
de l’analyse spéculaire
2
Les constituants des dispositifs interactifs
2.1 Sphère
opératoire
2.1.1
Acteurs
2.1.1.1 Opérateurs externes
2.1.1.2 Opérateurs internes,les acteurs invisibles
Les pré-énonciateurs
(les programmeurs)
L’être artificiel (logiciel intelligent générant
ses propres actions)
L’acteur distant (acteur absent dans le temps ou spatialement)
2.1.1.3 Les compétences
de l’acteur
2.1.2 Environnement opératoire
2.1.2.1 Média/Interface
Zone d’action
Activité continue (distante)
Activité contact
Zone de perception
Perception distante et partielle
Perception globale (contact)
2.1.2.2 L’exposition
du symbolique
2.1.2.3 Institutionnalisation
et socialité du dispositif
2.2
Sphère symbolique
2.2.1 Petit monde médiaté
2.2.2 Personnages
3
Evénementialité de la médiation
3.1
Cadrage de la médiation : les limites de l’interactivité
3.1.1 La coopération
interactive : le contrat invisible
3.1.2 L’interactivité hiérarchique
3.1.3 L’acte phatique 3.1.3.1 Le
phatique empirique
3.1.3.2 Le phatique culturel
3.1.3.3 L’absence de phatique
3.1.4 La clôture
de la médiation
3.2
Evénements types
3.2.1 Permanences identitaires
3.2.1.1 Mouvements
Mouvement indiciel
Mouvement symbolique
3.2.1.2 Métamorphoses
Métamorphoses
symboliques
Métamorphoses indicielles
3.2.1.3 Les hiatus
identitaires
Hiatus acteur/personnage
Latence interactive
Changement de personnage
Confiscation de personnage
3.2.2 Transformations
scéniques
3.2.2.1 Les scènes indicielles
Les scrollings indiciels
Les livres électroniques: le hiatus indiciel
3.2.2.2 Les environnements symboliques
Les scrollings subjectifs
Hypernavigation
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