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Spécial Thèse


Quatrième partie

Proxémie spéculaire des dispositifs de médiation interactive

1-La perméabilité des champs : l’espace virtuel
2 La virtualisation de la médiation
3 La dépendance relative
4 La mobilité des positions
5 La multimodalité des positions
6 Proximité multi- dimensionnelle : les trois distances de la socialité des médiations interactives 

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4 La mobilité des positions

La relation de position entre acteur et personnage varie au cours des médiations interactives. Selon le contexte et les circonstances, la perméabilité au travers des transferts s’oriente vers le champ de l’expérience ou vers celui du symbolique. Nous repérons trois type de mobilité :

  • Usuelle
  • Formelle
  • Scénaristique

      1. La mobilité usuelle

Dans le cadre de l’observation de TELEMATIC VISION, nous avons rapporté un phénomène particulièrement remarquable que nous associons à une propriété de mobilité usuelle des positions. Nous avons remarqué que dans la durée de la médiation l’acteur adopte des positions différentes en fonction de sa maîtrise de l’usage. Rappelons que nous avons remarqué trois niveaux successif de gestion du rôle qui se caractérisent par un déplacement de la relation de l’acteur au personnage.

  1. L’acclimatation : l’utilisateur est dans une phase où il a conscience d’agir, mais sa méconnaissance de l’interface fait qu’il ne peut investir le symbolique car il est coincé dans les préoccupations matérialistes du fonctionnement du système technologique. Le personnage est un témoignage de l’acquisition progressive des compétences techniques.
  2. La fusion : Progressivement l’utilisateur s’affranchit de l’attention porté à la technique. Il peut alors investir son personnage. Le personnage devient la clé exploratrice de l’univers enfin maîtrisé. Quelque soit l’interface, cette période où la perméabilité du symbolique est la plus forte. Les processus de transferts symboliques sont plus sensibles ( et recherché) que les transferts indiciels.
  3. La relativité : Les limites du personnage sont perçues comme maîtrisées. Une nouvelle distance se réinstalle entre l’acteur et le personnage. Le dispositif s’inscrit dans une perspective principalement utilitariste (même s’il reste des espaces d’investissements affectifs). La magie de l’outil cède la place à la valeur du contenu.

Ces trois étapes sont valables pour toutes les médiations interactives. La durée varie ensuite en fonction des compétences de l’utilisateur, de sa capacité à s’adapter à la complexité d’une médiation. On remarque que le fait qu’un sujet ait une forte culture des dispositifs interactifs ne lui fait pas sauter d’étape, simplement il anticipe plus vite les limites, les contraintes et les spécificités de cette nouvelle expérience. Ce phénomène a d’ailleurs été signalé notamment par Patricia GREENFIELD [81] ou Jacques PERRIAULT [82] lorsqu’ils constatent que les " scores " comparatifs entre groupe de débutants et groupe de pratiquants ne sont plus très significatifs dès l’acquisition des règles de fonctionnement. Les différences restantes tiennent selon notre hypothèse à l’accès au troisième niveau d’usage. Par exemple Jacques PERRIAULT signale l’acquisition d’une attention partagée, observée par Patricia GREENFIELD dans une expérience où la survenue d’événements est répartie disproportionnellement sur la surface de l’écran. Les joueurs les plus performants ont une attention renforcée sur les zones sensibles. Cette compétence ne peut-être acquise que si le joueur sait par ses actes où se trouve son personnage.

Sans étayage chiffré, la plupart des joueurs de jeu vidéo racontent un phénomène qu’explique la mobilité. Au début de l’utilisation d’un nouveau jeu, le joueur reste cantonné à des petits scores, puis un jour, il a comme une révélation, il fait exploser son record. Chaque session suivante commence par un gros score alors que les parties qu’il enchaîne ensuite (au cours de la même session) ne sont pas aussi remarquables. Le joueur est entré dans la phase de fusion, il maîtrise l’interface, mais l’effort de positionnement est épuisant et sitôt que la concentration du joueur sur son personnage baisse, il s’expose aux aléas négatifs du jeu. En revanche avec la pratique, il acquiert progressivement une connaissance précise du comportement de son personnage en fonction de ses interventions. Ainsi son regard peut progressivement se détacher du suivi du personnage pour se concentrer sur ce qui se passe autour et ainsi anticiper les prochaines décisions stratégiques.

Dans Tétris, le joueur s’applique d’abord à essayer de déplacer les briques qui tombent pour les ranger telles quelles. Puis il tente de maîtriser les rotations pour orienter les briques. A ce moment là il commence à mettre en place de véritables stratégies. Au troisième niveau de compétence (la relativité), il découvre avec intérêt la fonction d’aperçu qui pendant la chute d’une pièce montre qu’elle sera la prochaine pièce.

Avec un traitement de texte, on observera le même phénomène. L’utilisateur qui ne maîtrise pas l’interface et tape en regardant constamment son clavier pour y trouver les touches ne va utiliser le traitement de texte que pour finaliser son document. Chaque erreur est traitée au coup par coup. Il ne gagne véritablement qu’une chose avec l’usage de l’ordinateur sur la machine à écrire, une économie de papier. On constate même qu’il utilise facilement les touches de retour en arrière pour effacer son texte, mais il ne se risque pas à utiliser les fonctions d’édition lui permettant de travailler sur une sélection du texte. Progressivement, il va s’affranchir suffisamment de la préoccupation du clavier pour commencer à se servir des fonctions plus avancées du logiciel. Au point qu’il en fait une surconsommation. On entre dans la phase fusionnelle. Les symptômes sont variés en fonction des personnalités. On rencontre ainsi sur les panneaux d’affichage des boulangeries, dans les bulletins associatifs, les invitations d’anniversaire une débauche de polices de caractères, en gras, souligné ou en couleur, avec incrustation massive de pictogrammes. Dans cette phase, tout document écrit doit bénéficier de tous les apports de la technologie, jusqu’à la perversion extrême, trouver une raison de créer des documents. Socialement, cet utilisateur est toujours prêt à se porter volontaire pour faire bénéficier du pouvoir de son nouveau jouet, voire ami. Christian MICQUEL [106] dans " Mythologies modernes et micro-informatique, La puce et son dompteur " évoque le syndrome des " computer widows " (les veuves de l’ordinateur) qui se manifeste dans la sphère familiale. Comme la guerre leur aurait pris leur mari, des épouses sont délaissées par leur conjoint computophile. L’informatique est leur maîtresse avouable mais pas moins encombrante et concurrente. Ce phénomène trouve tout à fait sa place à ce stade, même si nous ne présumons pas d’explications de ce transfert d’investissement affectif propre au vécu du couple.

Puis la relation passionnelle s’estompe. Elle entre dans l’habitude et tous les petits rien qui la rendait excitante deviennent superflus. L’utilisateur prend la mesure de l’apport technologique et de sa nécessité. Il entre dans l’ère de l’efficacité et de la relativité. Ce passage du fusionnel à la relativité passant parfois par une étape transitoire de décristallisation. Cette transition passant par le besoin presque compulsif de tuer se que l’on a adoré. A cet instant, l’informatique prend du temps, elle isole, elle ne marche jamais comme on veut, l’escalade technologique fait qu’on est toujours en retard d’une guerre ou n’apporte rien de nouveau par rapport à ce qu’on faisait dix ans avant avec un programme basique… Les griefs sont légions, souvent justes, mais leur accumulation est douteuse. Passé cette transition douloureuse, l’utilisateur s’installe dans un usage rationnalisé (pas forcément rationné) de son traitement de texte. La particularité de sa nouvelle pratique réside dans un usage tempéré de la puissance à sa disposition. Il recentre son usage sur ce qu’il maîtrise bien. Lorsqu’une situation nouvelle se présente, il évalue dans la foulée une solution adaptant ce qu’il maîtrise plutôt que de partir à la recherche d’une fonctionnalité qui existe certainement quelque part.

Ce comportement individuel se retrouve aussi dans les organisations. L’investissement d’Internet a longtemps été prudent, puis en l’espace de quelques mois le nombre de sites a cru de manière exponentiel (par exemple la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon enregistrait 200 contacts d’entreprises lyonnaise connecté au réseau en 1998 en 1999, elle en recensait plus de 800). Elle n’avait aucune raison d’être présente. Un an après, avoir un site Web est une donnée incontournable de la politique de communication d’une entreprise, quelque soit sa taille, son domaine de pratique. Des coiffeurs de quartier sont venus demander conseil pour définir l’opportunité de leur présence. Or pour la plupart, le gain se limite à une visibilité se substituant à l’annuaire du minitel. Il n’empêche que la démarche effectuée, les employés des entreprises accèdent généralement à Internet depuis leur poste de travail. Dans un premier temps, le contact est timide. Puis l’entreprise engage un discours d’incitation au nom généralement de la réactivité avec la clientèle et les fournisseurs. Ce discours n’a que peu d’écho car il y a en définitive peu de contact (même si le moindre e-mail en provenance d’un autre pays semble justifier l’effort consenti). Par contre, par le truchement de motivation extra-professionnelle, les employés se mettent à utiliser massivement l’Internet. Pour des raisons professionnelles, ils consultent leur site (pour connaître le discours externe de l’entreprise). Suit un second discours de rationalisation des coûts. La question est de savoir s’il ne faut pas recentrer les usages d’Internet sur le corps de métiers. L’expérience du Minitel nous amène à penser que ce n’est pas nécessaire, au contraire. Ces pratiques parallèles sont un investissement en auto-formation. L’organisation entre dans sa phase fusionnelle. Cette période est celle de la curiosité. Au cours de cette phase, les utilisateurs sont friands de découvertes. Ils sont perméables à l’acquisition de savoirs nouveaux et en particuliers sur les potentialités que leur offre leur nouvel outil. Ces connaissances seront réinvesties dès l’entrée dans la phase de relativité.

Cette mobilité usuelle se traduit par une évolution de la relation acteur/personnage. Lors de la phase d’acclimatation, l’adaptation à la fonctionnalité du dispositif infère une prédominance du champ de l’expérience. La rupture sémiotique est maintenue par un jeu d’aller retour entre l’action et son résultat qui sont déphasés dans la conceptualisation de la médiation par l’utilisateur. Il est tantôt d’un coté, tantôt de l’autre. L’étape fusionnelle inverse la relation, séduit par le pouvoir de son personnage, l’acteur cherche à se fondre dans son rôle et marque une médiation beaucoup plus ancrée dans le champ symbolique. A partir de la décristallisation, qui marque l’entrée dans le stade de la relativité, l’utilisateur s’installe dans une double position. Il différencie sa relation au personnage de sa relation à la médiation. Il n’est pas le personnage, mais il l’investit pour accéder à la médiation. Sa relation est beaucoup plus subtile. La première étape exige une contrainte, une nécessité sociale ou affective pour maintenir l’engagement et la poursuite de l’investissement de la médiation. Le second stade est motivé par un rapport passionnel, la troisième étape est beaucoup plus rationnelle (ce qui n’empêche pas qu’elle soit affective). La double position permet à l’utilisateur de profiter pleinement des spécificités du dispositif. La contrainte fonctionnelle s’est estompée mais la passion est retombée. Le choix et l’utilisation du dispositif montre que les différents niveaux de perméabilité du dispositif répondent suffisamment (ou au mieux) au désir de l’utilisateur. A partir de cette étape d’ailleurs il devient tout à fait pertinent de s’intéresser au différents niveaux de perméabilité que nous nommons la multimodalité des dispositifs.

      1. La mobilité formelle
      2. La mobilité formelle est une propriété de la médiation liée directement à la juxtaposition de dispositifs d’interfaces techniques et à leur propriétés. Un clavier ou une souris nécessitent un contact volontaire. Sitôt que le contact disparaît, l’utilisateur devient spectateur. Nous n’irons pas jusqu’à penser qu’un utilisateur perd le contact avec son personnage chaque fois qu’il relâche une touche (ce qui peut-être considéré dans de nombreux cas comme un phénomène de latence). Néanmoins ce type d’interface marque une contrainte du système opératoire pour maintenir le contact. Dès lors l'investissement d'une médiation n'est pas le même entre des individus ayant une maîtrise différente du clavier. Quelqu’un qui frappe au clavier automatiquement, sans avoir à chercher ses touches, sans regarder (contrôler) ce qu’il fait dans la sphère opératoire, investit plus fortement la sphère symbolique. A l'opposé, celui qui doit fractionner l'attention de son regard entre ce qui se passe à l'écran et sur son clavier, perd à chaque coup d'œil dans la sphère opératoire le contact avec son personnage de la sphère symbolique. Cet effet justifie des efforts dans l’ergonomie des périphériques. En isolant les quatre touches fléchées sur un clavier et en les disposant en croix, l’utilisateur arrive assez facilement à avoir une représentation haptique de son clavier et la contrainte opératoire s’efface libérant l’investissement symbolique.

        Ainsi selon la nature du dispositif et sa complexité d’utilisation, l’utilisateur peut prendre plus ou moins facilement du recul avec la position de son personnage en se détachant de celui-ci. Toutefois cette propriété est directement associée à la propriété de multimodalité. Les dispositifs d’interface qui se superposent sont parfois concurrents. Ils réfèrent à des relativités antagonistes.

      3. La mobilité scénaristique

Au même titre que la mobilité formelle, mais cette fois dans le déroulement même de la médiation, le statut de l’acteur/personnage peut varier. Les jeux vidéo fournissent souvent une illustration notoire des manifestation de cette propriété. Dans les jeux d’arcade où la partie est appréciée par l’obtention d’un score en points, le jeu commence par une séquence introductive où le joueur est spectateur. Il s’agit parfois d’un simple écran de présentation, parfois d’une séquence vidéo. Cette séquence crée un contexte. Elle fournit les éléments de base (les personnages) et situe le contexte symbolique dans lequel va se dérouler l’action. Moins gourmande en ressources technologiques par l’absence d’interactivité, ces séquences sont toujours d’une qualité esthétique supérieure à celle que l’on retrouvera lors de la représentation de la partie. On joue sur un lien de ressemblance entre les éléments d’une séquence à l’autre. Après être éventuellement passé par une étape de configuration (où le joueur paramètre son personnage et qui prolonge l’identification progressive au contexte), on entre dans la partie jeu. Selon la mise en scène et la nature précise du jeu, la " magie " de la perméabilité se met en place autour de la relation acteur/personnage. Puis à un moment précis (lorsque le joueur franchit un niveau de jeu supplémentaire ou lorsqu’il est éliminé, il est à nouveau détaché d’une relation fusionnelle basée sur l’empathie avec son personnage symbolique, pour revenir à une position beaucoup plus opératoire où son score va être affiché, où on va lui proposer le cas échéant de s’identifier (en tant qu’acteur) dans la tableau d’honneur des meilleurs scores, où il pourra quitter où recommencer une partie.

Les programmes " sérieux " n’échappent pas à ces mobilités scénaristiques. Au démarrage de l’environnement Windows comme de MacOs, un écran de présentation s’affiche, et il existe en sortie d’application une série de rites de désengagement (sauvegarde des dernières modifications, écrans de remerciement).

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©Vincent Mabillot 1999-2003