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Spécial Thèse


Quatrième partie

Proxémie spéculaire des dispositifs de médiation interactive

1-La perméabilité des champs : l’espace virtuel
2 La virtualisation de la médiation
3 La dépendance relative
4 La mobilité des positions
5 La multimodalité des positions
6 Proximité multi- dimensionnelle : les trois distances de la socialité des médiations interactives 

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6.3 Distance acteur/acteur : Socialité de la co-énonciation

Si certaines actions qui affectent l’environnement médiaté ou le personnage ne sont pas imputables à l’acteur, c’est qu’elles le sont à d’autres acteurs. Dans notre problématique spéculaire, qui dit acteur, dit personnage. Mais tous les objets médiatés, ne sont pas des personnages. Relativement à l’identification spéculaire de son personnage, l’utilisateur est amené à spéculer sur les acteurs qui participent à la co-énonciation de la représentation.

Au niveau des acteurs, on s’intéresse à leurs interrelations : Situation d’usage collectif (coopératif ou concurrentiel) ou purement individuel (l’acteur seul en contact direct avec le dispositif).

Par sa position dans l’espace opératoire, l’utilisateur perçoit, outre sa présence en tant qu’acteur, une éventuelle co-présence similaire à la sienne (d’autres personnes présentes agissent sur le même énoncé) et l’irréductible présence du dispositif. Toutes les actions qui ne sont pas du ressort de l’acteur, ne le sont pas pour autant d’un autre utilisateur co-présent. Elles sont à attribuer au système qui devient alors l’exécuteur d’acteurs invisibles que nous nommons acteurs secondaires.

Les acteurs secondaires sont les acteurs représentés par le dispositif de médiation interactive. Leur nature " réelle " est soumise à une épreuve de réalité ou un contrat de coopération " textuelle " de la part des acteurs qui se fait à partir d’une identification spéculaire de leur personnage.

L’épreuve de réalité est une authentification de l’existence d’un acteur secondaire par sa rencontre dans un autre champ de l’expérience et la cohérence avec son action dans le cadre de l’expérience médiatique. Nous avons, par exemple, la certitude que notre correspondant électronique existe parce qu’en dehors de notre correspondance électronique, nous avons eu une relation hors courrier électronique.

Tant que l’acteur ne considère pas cette authentification de l’existence réelle d’un acteur secondaire, il est dans un contrat de coopération présuppositionnelle. Il admet pour le fonctionnement de la médiation qu’il est en interaction avec des acteurs secondaires.

Néanmoins, une question nous préoccupe aujourd'hui lorsque nous observons certains usages technologiques. L'environnement social et culturel produit des idéologies de la technologie qui effacent son pouvoir de symbolisation pour les élever au rang de réalité (le fameux "Vu à la Télé") ce qui est " vu " devient une réalité de premier ordre masquant la distance qui doit nous amener à relativiser le contenu médiaté. Ainsi dans le cas des usages d'Internet, comme de la télévision, le produit technologique n'est pas relativiser comme production symbolique, l'outil devient un tiers de confiance objectif et fiable. L'information circulant est considéré comme vrai par ce qui nous semble être la magie du média. Cette naïveté laisse alors la place à toutes les "perversions" d'utilisation du média. Le même comportement idéologique, mais en sens inverse conduit à suspecter ou à décrédibiliser le média.

L’utilisateur peut se trouver en relation avec d’autres acteurs selon trois types de mises en scène :

  • La téléprésence
  • La co-présence
  • La présence

L’identification de ces acteurs organise au travers des personnages des stratégies discursives particulières.

        1. Téléprésence
        2. Dans certains cas, nous avons des acteurs secondaires par téléprésence. L’acteur rencontre dans la médiation des contenus qui ne sont pas générés automatiquement ou mécaniquement marqués et identifiés par un moment, une date d’émission, un auteur. C’est le cas par exemple des messageries électroniques, des forums de discussions électronique en direct (les chats *) ou en différés (les news*), des jeux en réseau (les Muds *), du travail en flux (le workflow *). Ceci implique une correspondance identitaire entre l'acteur et le personnage. Le pseudonyme est le personnage d'un acteur bien réel, mais la médiation est alors régulée par la connaissance que chacun à de l'autre avec une priorité sur ce qui authentifie l'acteur. Par exemple, tant que le comportement d'un personnage est cohérent, et si l'acteur n'a que cette connaissance de celui qu'il représente, l'acteur est supposé être ce personnage. Sitôt que l'identité " réelle " de l'acteur est connue, ses divergences avec la présentation du personnage deviennent anecdotiques, le personnage devient l'acteur. Lorsque cette connaissance des acteurs du champ de l'expérience est connue, le maintien d'un discours construit à partir de la personnalité et de la représentation des personnages positionnent la médiation dans le champ d'un symbolique ludique. On joue véritablement un rôle. Cette constatation nous a amené à considérer que l'égalité des participants à une communauté virtuelle restait soumise dans bien des cas à différents facteurs de hiérarchisation sociale. Au delà d'une réévalution temporaire des positions liées à l'appropriation technologique (le différentiel de compétence technologique permet à ceux qui maîtrise l'usage de s'exprimer mieux que les autres et ainsi d'être en situation de "dominer" la médiation), la connaissance de la réalité sociale s'impose à la socialité du virtuel. En clair, même si un utilisateur est plus compétent que son patron dans le virtuel, il adoptera une attitude calqué sur leur relation dans le champ de l'expérience. Par exemple, le tutoiement au sein de la communauté des Internautes étaient une des manifestations d'une idéologie égalitariste qui entourait le réseau, sa logique fédérative de ressources partagées. L'ouverture du réseau à la mercatisation et à son usage comme support d'échanges matérialisés a repoussé le tutoiement à des contextes d'échanges particuliers et de plus en plus marginalisés par la croissance du réseau.

          La téléprésence développe donc un système de relation relayée. L'acteur est en relation avec son personnage lui-même en relation avec d'autres personnages eux-mêmes en relation avec d'autres acteurs. L'acteur/personnage est par ce biais en lien avec des personnages/acteurs. Tant que cette relation d'acteur à acteur n'a d'existence que par l'intermédiaire du dispositif, le discours relationnel s'inscrit uniquement dans les perspectives des personnages. A partir du moment où les acteurs établissent une relation (plus ou moins représentative) avec qui se cache (ou apparaît derrière le personnage) les enjeux de la médiation se déplacent d'un rapport individuel au sens du discours à une socialité relationnelle. Sachant que nul n'est véritablement dupe de l'existence déplacée des autres acteurs participant à la médiation, l'investissement d'une médiation interactive technologique se retrouve complètement dans la définition même d'une des ses interfaces les plus courantes, l'écran. L'écran sert à montrer, mais aussi à cacher. Ce à quoi les informaticiens répondront que le terme d'écran est impropre, ils lui préfèrent celui de moniteur qui ne se contenterait que de montrer. Mais n'est-ce pas une vision idéologique d'une soi-disant neutralité objective des technologies?

        3. Coprésence
        4. Comme nous l'avons remarqué dans le cas de la téléprésence, la connaissance effective de l'acteur prend le pas sur son personnage. Dans le cadre de la coprésence, les acteurs font partie d'un même espace opératoire.

          Dans ce cadre, la relation directe entre les acteurs n'est pas relayée par les personnages (et donc les seules caractéristiques représentées et représentables par le dispositif). Il y a donc une triangulisation de la relation. La médiation joue un rôle symbolique d'élaboration d'un projet commun qui s'ajoute à une relation directe. Néanmoins le dispositif contient en lui-même une (ou plusieurs) présence à distance (le système-acteur et d'éventuelles téléprésences) qui vont contribuer à projeter la relation dans le champ symbolique.

          Ce mode introduit des stratégies de coopération et de concurrence entre les acteurs de la sphère opératoire. Par exemple, dans un salon, deux personnes tiennent chacune en main un gamepad*, les yeux rivés sur un écran où deux personnages font un match de tennis. La situation contient trois acteurs opérants: un acteur interne (le système technologique) et deux acteurs externes.

          Il y a autant de situations relationnelles différentes qu’il y a d’opérateurs, auxquelles se rajoutent les distances et les positions avec les autres acteurs représentés. La possibilité d’observer, de communiquer avec l’autre en dehors du média est un vecteur des stratégies des acteurs. En observant l’autre, la direction de son regard, son état de concentration, son aisance à manipuler l’interface, il est possible d’anticiper son comportement médiatique et de réguler le sien.

          Cette composante est mise en scène dans certains dispositifs de jeux : L’écran d’affichage au lieu d’être dans un plan vertical, est dans un plan horizontal, il constitue une table. Les joueurs sont de part et d’autres de la table. Selon les dispositifs, les manettes de jeux peuvent être dissimuler au regard de l’autre.

          Ces dispositifs très courants à la fin des années 70 ont presque entièrement disparu, non pas pour des raisons techniques, mais justement par la gestion de l’espace qu’ils impliquaient. Principalement installés dans des lieux publics (salles d’arcades *, bars …), ils imposaient une occupation de l’espace plus volumineuse que les bornes verticales. Ensuite, ces dispositifs n’avaient d’intérêt que lorsque plusieurs joueurs s’illustraient simultanément. Un joueur seul se retrouvait dans une médiation intime ouverte sur un espace social. Son corps ne pouvant faire écran avec la périphérie de la médiation, il se retrouvait dans une situation paradoxale. Enfin, coté pratique pour les gérants de ces lieux, les joueurs posant leurs verres ou leurs cigarettes sur la table, l’écran devait être fréquemment nettoyé.

          D’autres dispositifs multi-utilisateurs ont été expérimentés en particulier dans l’art contemporain. Dans les pièces interactives du type de celles conçue par Myron KRUEGER, l’environnement fait contenu et se transforme en fonction des déplacements de plusieurs utilisateurs. Très rapidement si les visiteurs se piquent au jeu, ils entament un ballet improvisé, se répartissant dans la pièce ou se rapprochant les uns des autres pour produire des effets sur le contenu.

          L'une des limites de dispositifs de coprésence est inhérente à la relation individualisante à laquelle convient les médiations interactives. Elle force une régulation et une institutionnalisation du cadre d'usage. Le média, dans la mesure où il ne propose pas une Représentation fragmentée par la contiguïté de pratiques individuelles, oblige une négociation d'utilisation. Cette négociation se règle soit par l'adoption de consensus, soit par un rapport de force. L'étude de l'usage de la télécommande dans les foyers seraient en cela un terrain propice à l'observation de ces stratégies.

          Ces stratégies sont déplacées et traitées dans le champ symbolique lorsque le dispositif autorise une co-énonciation et une représentation partagée non exclusive. Par exemple dans le jeu de simulation "Vroom", lors des parties "multijoueurs", l'écran est séparé en deux permettant à chaque joueur de visualiser son propre positionnement dans la course (et simultanément celui de son adversaire). Les stratégies sont plus ouvertes car moins contraignantes.

          Lorsque la Représentation n'est pas fragmentée mais que chaque joueur a une relation individualisée à une partie du contenu (chacun contrôle un des personnages), elle oblige généralement une mise en scène symbolique dans un espace clos dans lequel on retrouve des stratégies de consensus ou de négociation. Là encore le Jeu Vidéo nous fournit de nombreuses illustrations. Dans "Wizards of Lair", un jeu où des sorciers et des magiciennes parcourent des labyrinthes, on ne peut changer de pièce dans une partie multi-joueurs que lorsque tous les personnages sont près à quitter la pièce (mise en scène coopérative). Dans des jeux comme "Vroom", on passe au circuit suivant quand tous les joueurs ont terminé la manche. Dans certains jeux, la stratégie est au contraire concurrentielle. Le premier à réussir l'épreuve régule le rythme de la médiation quitte à éliminer les autres joueurs de la partie.

          Enfin une des façons les plus courantes de gérer une interactivité multi-utilisateurs reste de fractionner la médiation globale en une suite d'alternance d'interventions dans le temps. Le temps opératoire est partagé dans un projet commun même si la production symbolique est individualisée. Dans le domaine du jeu, on retrouve le principe du flipper, on joue chacun son tour. Le côté collectif passe par un système de comparaison basé sur des scores ou des niveaux atteints. Outre le fait que se joue malgré tout une relation interindividuelle dans le champ de l'expérience, nous sommes proches d'un modèle de téléprésence. Ainsi dans des situations de travail partagé, on retrouve une répartition séquentielle des interventions qui soit se régule dans le champ de l'expérience, soit passe par des protocoles de communication remplissant cette tâche opératoire permettant d'intervenir chacun son tour. Un logiciel d'édition HTML comme Dreamweaver propose une fonction de travail collaboratif sur un site dont la régulation se fait par l'échange d'information signalant que quelqu'un travail actuellement sur un fichier et qu'on ne peut faire des modifications simultanément sur ce dernier au risque de créer des confusions sur des mises à jour parallèle.

        5. Présence

Tout système technique interactif fonctionne sur la base d’un programme. Le programme est un système logiciel ou/et technique qui interprète (comprend) les actions d’un utilisateur et y répond par ses propres actions. Dans la conception d’une application interactive, quel que soit le niveau d’interactivité, les concepteurs du programme, postulent une utilisation. Ils vont donc prévoir quel type d’action l’utilisateur va adresser à la machine et orienter la machine vers un traitement spécifique des réponses. Sur un modèle plus ou moins ouvert, ils écrivent à l’avance le déroulement de la médiation. Leur énonciation est déjà modélisée avant même que l’utilisateur n’intervienne. Par contre selon le degré d’interactivité, la modélisation de la médiation tient plus où moins compte de variables introduites par l’utilisateur ou l’utilisation.

La présence est invisible et a priori. Elle distingue le programmeur (ou une équipe de développement) des utilisateurs. A part en terme de subversion, l'utilisateur est soumis à la vision du monde symbolique sur lequel il intervient. Il doit accepter une convention d'usage, de production symbolique définie par d'autres acteurs. La téléprésence n'est ici pas déplacée dans l'espace, mais dans le temps. Elle implique un rapport symbolique à une médiation éditoriale, l'utilisateur doit s'adapter car globalement ça ne sera pas le contraire. Néanmoins les programmes idéaux sont assez rares. L'usage fait parfois découvrir des faiblesses, incite à faire évoluer le fonctionnement et l'utilisation. Deux stratégies d'acteurs se côtoient désormais. La hotline et les mises à jour. Dans le cadre d'une démarche de qualité et d'évolution des produits, les éditeurs proposent soit par le biais de réseaux électronique, par téléphone ou par courrier d'ajouter un service de support utilisateurs. Par la diffusion de lettres d'informations, par la mise en relation avec des "utilisateurs chevronnés", on produit ainsi une information visant à aider l'utilisateur, à le dépanner. Les questions courantes sont rassemblées au sein d'une FAQ (Frequently Asked Questions traduit par Foire Aux Questions) laissant aux conseillers le soin de personnaliser des réponses sur des problématiques plus individuelles. A ce premier niveau de stratégie s'ajoute (souvent en étroite relation), la mise à dispositions de mises à jour. Il s'agit là non plus de diffuser un guide d'utilisation personnalisé et enrichi, mais de faire évoluer le système en réponses à ses lacunes. On revient alors à une logique éditoriale (même si les délais d'adéquation du dispositif à ses usagers sont raccourcis). Le modèle éditorial fait du dispositif un produit culturel s'inscrivant complètement dans une logique de marché et dans un rapport producteur/consommateur. L'ouverture d'une gestion d'un feedback conditionne une évolution de cette logique de production vers une logique de communication. Plus le feedback est pris en compte, plus on passe d'un rapport producteur/consommateur à un rapport concepteur/utilisateur allant parfois jusqu'à une relation émetteur/récepteur où les rôles deviennent réversibles). Le développement du concept de freeware* entre parfaitement dans ce cadre et fragilise notamment la superposition du modèle de l'économie de marché dans le contexte des médias interactifs. Le système d'exploitation Linux distribué gratuitement et affiné par une communauté de contributions impose un modèle économique qui attaque directement celui des éditeurs traditionnels. Ce système est fiable et performant, indépendant du type de machine, son évolution est très réactive. Il est certainement l'emblème la plus probante aujourd'hui d'un "Pensez autrement" dont un constructeur à fait son slogan sans pour autant sortir d'une logique de marché traditionnel.

Au travers de la présence se découvre souvent l'idéologie des modèles idéologiques de l'interactivité: Un modèle monopolistique, un modèle libéral et un modèle libertaire. Le premier développe une standardisation ou normalisation de l'interactivité, le second une personnalisation, le troisième une individualisation.

L'évolution historique et la multiplicité des systèmes interactifs font qu'aujourd'hui ces trois modèles s'entrecroisent, se concurrencent ou coopèrent.

Signalons dans le cadre de la présence les intelligences artificielles. Il n’est pas sûr qu’à l’heure actuelle ce genre d’acteur existe concrètement, mais il y a au moins deux bonnes raisons de ne pas les exclure :

La première est technique, on peut penser que les recherches en la matière peuvent aboutir.

L’autre est plus proche de l’utilisateur. On peut techniquement démontrer qu’un système simule une intelligence artificielle par une programmation subtile. Il n’empêche que l’utilisateur peut croire qu’il est face à une intelligence artificielle et se prendre au jeu de cette médiation. De fait le système devient pratiquement un acteur incarné par et dans le dispositif technologique. Il suffit d’écouter les gens parler d’informatique ou de multimédia pour entendre ce mythe de l’intelligence artificielle au détour de nombreuses phrases. Appelons ces acteurs des cyberacteurs. Ils ont la d'être identifiés et institués par l’acteur comme interlocuteur direct.

L’un des cas les plus célèbres est celui de Alan TURING [15]. Son idée est de dire que si nous faisons passer un test (en opérateur aveugle) à une machine et que nous ne sommes pas capables de reconnaître que c’est une simulation, nous devons raisonnablement considérer la machine comme un " original " et non comme une doublure. De fait le dispositif de médiation se situe dans le champ de l'expérience d'une interaction entre plusieurs individus ou "êtres" pour reprendre une terminologie de l'Ecole de Palo Alto.

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©Vincent Mabillot 1999-2003